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Musical stalinien

Paris
Opéra Bastille
02/18/2000 -  et 23, 27 février, 1er, 4, 8 et 11 mars 2000
Sergueï Prokofiev : La guerre et la paix
Olga Gouriakova (Natacha), Elena Obraztsova (Akhrossimova), Elena Zaremba (Hélène), Margarita Mamsirova (Sonia / Aide de camp), Irina Roubtsova (Peronskaia), Susanna Poretsky (Maria / Actrice), Nathan Gunn (André), Robert Brubaker (Pierre), Anatoli Kotcherga (Koutouzov), Vassili Gerello (Napoléon), Mikhail Kit (Rostov / Bennigsen), Stefan Margita (Anatole), Konstantine Ploujnikov (Abbé / Platon), Leonid Zimnenko (Bolkonski), Vladimir Matorine (Balaga / Cherbaty / Matveiev)
Francesca Zambello (mise en scène), John Mac Farlane (décors), Nicky Gillibrand (costumes), Dominique Bruguière (lumières)
Orchestre et Choeurs de l’Opéra National de Paris, Gary Bertini (direction)

L’ultime opéra de Prokofiev représente son époque comme la Vie pour le Tsar ou Le Prince Igor représentent la leur : un divertissement patriotique à grand spectacle où l’ivresse joyeuse de la conquête et les charmes morbides de la décadence auraient cédé le pas face au glacis des sentiments, à l’austérité martiale et à la sourde détresse de l’univers totalitaire. Ouvrage pitoyable et maudit, qu’on se demande s’il convient de haïr ou de consoler. Dans l’instrumentation pesante et parfois maladroite se reconnaît moins le génie de Prokofiev que sa caricature, et dans les harmonies corsetées, ces trésors que sont Le Joueur, L’Amour des trois Oranges, L’Ange de Feu ou Les fiançailles au couvent paraissent bien loin. Répétitifs jusqu’à la nausée (l’étouffante ouverture nous étant par bonheur épargnée), les thèmes mélodiques n’en sont pas moins d’une grande beauté et leur agencement dramatique d’une indéniable cohérence ; dans les trois derniers tableaux de la Paix, la conversation musicale parvient à une âpreté vraiment fascinante, et la mort du prince André à Iaroslav figure parmi les pages les plus bouleversantes de son auteur.
Dans La Guerre, le général Zambello remplit le contrat avec une efficacité opiniâtre : rarement la machinerie de Bastille aura été à ce point sollicitée. La rigueur des mouvements de foule, la variété des effets forcent l’admiration et nous font retrouver notre âme d’enfant jouant avec ses soldats de plomb. Beau feu d’artifice, pour le dixième anniversaire du lieu. Hélas, il a fallu deux heures durant supporter l’élégant frigidaire et la prosaïque mise en place de la Paix, qui méritait le sens des atmosphères, la subtile direction d’acteurs d’un Carsen ou d’un Decker. A quand les mises en scène en tandem ?
Déception réelle, en revanche, du côté du podium. Pas de la fosse, car l’orchestre sonne large et glorieux en dépit d’attaques parfois hésitantes en début de soirée chez les vents. Mais Bertini, qu’on a connu plus percutant dans Carmen ou dans ses Verdi, semble ici oublieux de l’expressivité du phrasé et de l’accentuation seule à même de révéler les beautés de la partition, hachant la ligne et plombant les rythmes jusqu’à l’absurde (le bal à Petersbourg !).
D’un plateau physiquement idéal, on retiendra chez les dames la Natacha rayonnante d’Olga Gouriakova, floue de diction mais royale de timbre, le toujours riche métal et l’opulent décolleté de Zaremba en Hélène, la déclamation souveraine de la grande Obraztsova, chez les hommes l’André noble, poète et fin musicien de Nathan Gunn malgré un timbre peinant parfois à passer, les frémissements de Robert Brubaker en Bezoukhov, les décibels de Kotcherga et Gerello (le Napoléon du second l’emportant en contrôle du matériau vocal et en exactitude musicale sur le Koutouzov un peu débraillé du premier). Le choeur bien sûr est à la fête, oubliés quelques décalages internes ; et le triomphe que lui réserve le public le public, comme à l’ensemble du spectacle, laisse rêveur s’agissant d’une oeuvre dont la nature même devrait susciter des sentiments aussi contradictoires.



Vincent Agrech

 

 

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