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Quatre «ballets russes»

Prades
Abbaye Saint-Michel de Cuxà
08/12/2003 -  

Wolfgang Amadeus Mozart : Quintette à deux altos K. 516 (*)
Serge Prokofiev : Quintette pour hautbois, clarinette, violon, alto et contrebasse, opus 39 (#)
Igor Stravinski : Le Sacre du printemps (+)
Claude Debussy/Hanns Eisler : Prélude à l’Après-midi d’un faune (§)


Jacques Zoon (§) (flûte), François Leleux (# §) (hautbois), José-Luis Estellés (# §) (clarinette), Hagaï Shaham (* §), Johannes Meissl (*), Gérard Poulet (#), Raphaël Oleg (§) (violon), Herbert Kefer (*), Raphaël Oleg (*), Pierre-Henri Xuereb (#), Bruno Pasquier (§) (alto), Othmar Müller (*), Soo-Kyung Hong (§) (violoncelle), Niek de Groot (# §) (contrebasse), Denis Weber (+ §), Jean-Claude Vanden-Eynden (+) (piano), Matthias Leconte (§) (harmonium), Michel Ventula (§) (percussion)


Retour à Saint-Michel de Cuxà pour une initiative originale: un (copieux) programme conçu autour du ballet «russe» – pas des seuls Ballets russes proprement dits – et comprenant des œuvres, originales ou transcrites, commandées respectivement par Romanov (Quintette de Prokofiev) et Diaghilev (Le Sacre du printemps ), ou bien ayant inspiré le même Diaghilev (Prélude à l’Après-midi d’un faune) ou Balanchine (Quintette de Mozart). Deux partitions qui n’étaient pas à l’origine destinées au ballet (Mozart, Debussy) encadraient ainsi deux musiques conçues pour la scène (Prokofiev, Stravinski).


Cinq jours après le Quintette en majeur de Mozart (voir ici), c’est le tour de son Quintette à deux altos en sol mineur (1787), sur lequel George Balanchine avait créé une chorégraphie en 1946. Hagaï Shaham (premier violon) et Raphaël Oleg (second alto) se sont joints à trois des membres du Quatuor Artis (Johannes Meissl, Herbert Kefer et Othmar Müller): sans affectation, dépourvue du souci d’arrondir les angles, leur approche n’est pas pour autant uniment sombre ou désespérée. Plutôt que de s’égarer dans la description d’une lutte de type beethovénien, porteuse d’un message universel, ils expriment, avec une formidable exactitude technique et stylistique, le combat éminemment personnel et lucide de Mozart, au travers de ses inquiétudes, bien sûr – culminant sans doute avec le chant expressif de Shaham dans le second Adagio – mais aussi du frêle espoir de l’Adagio ma non troppo central ou de l’élan retrouvé de l’Allegro final.


La tension se dissipe définitivement lorsqu’étant revenus sur scène comme pour donner un bis, les musiciens se mettent à jouer Happy birthday to you à la stupéfaction générale, et davantage encore du destinataire de ces vœux, Johannes Meissl, le second violon du Quatuor Artis.


La suite de la soirée quittait les sentiers battus du répertoire de Prades, avec d’abord un autre Quintette en sol mineur, mais de tempérament bien différent, celui de Prokofiev (1924), décidément fêté en cette année qui marque le cinquantième anniversaire de sa disparition (voir ici). Composé pour un ballet de Boris Romanov (ancien chorégraphe des Ballets russes qui avait fondé sa propre troupe) intitulé Trapèze et évoquant le thème du cirque, ce Quintette en six brefs mouvements demeure une relative rareté, sans doute parce qu’il est malaisé de réunir un tel ensemble (hautbois, clarinette, violon, alto et contrebasse). Mais le vivier d’interprètes rassemblés à l’occasion du Festival Pablo Casals permet précisément de constituer des formations sortant, à tous points de vue, de l’ordinaire: François Leleux, José-Luis Estellés, Gérard Poulet, Pierre-Henri Xuereb et Niek de Groot restituent en effet avec une aisance confondante les contrastes, les timbres criards, les frottements dissonants, le caractère pince-sans-rire, très «Groupe des Six», l’alacrité et la vivacité de l’œuvre.


Un Happy birthday surprise retentit à nouveau, adressé cette fois-ci à Gérard Poulet, qui dépose sur le piano le bouquet qui lui est offert, avant de reprendre avec ses quatre camarades l’Allegro sostenuto, ma con brio, dont les sonorités et les rythmes rappellent parfois L’Histoire du soldat. C’est justement Stravinski qui ouvrait la seconde partie, sorte de clin d’œil aux Ballets russes. Mais on l’a échappé belle, car entre temps, l’eau des fleurs a coulé sur le piano: plus de peur que de mal, toutefois, et l’occasion de méditer sur l’utilité du sèche-cheveux lorsque l’on est régisseur de concerts...


D’une exigence physique phénoménale, accrue par le fait que les pianistes, faute de pouvoir tenir aussi longuement les notes que l’orchestre, sont contraints d’adopter des tempi sensiblement plus rapides, la réduction pour quatre mains du Sacre du printemps (1913) radicalise le propos de ce jalon essentiel de la musique du siècle passé. Fort intelligemment, Denis Weber et Jean-Claude Vanden-Eynden ne se bornent pas à une démonstration d’effets percussifs, mais mettent en valeur, autant que possible, la subtilité des nuances, des couleurs et des harmonies.


Il suffit de se souvenir du poème de Mallarmé pour comprendre que Diaghilev ait été tenté de s’approprier le Prélude à l’Après-midi d’un faune (1892) de Debussy. A défaut d’orchestre, la luxueuse palette de musiciens présents à Prades permet d’entendre un arrangement pour onze instruments (flûte, hautbois, clarinette, piano, harmonium, percussion, quatuor à cordes et contrebasse), remarquablement réalisé par Hanns Eisler (1898-1962), sans doute en vue des manifestations organisées dans les années 1920 par son maître Schönberg (pour lesquelles celui-ci adapta par ailleurs, en compagnie de Berg et de Webern, des valses de Strauss et même Le Chant de la terre de Mahler). La mise en place étant irréprochable, l’absence de chef se fait tout juste parfois sentir dans l’équilibre entre les pupitres (bois privilégiés au détriment des cordes), mais l’esprit de Debussy – plutôt langoureux, mais on le serait à moins, vu la chaleur ambiante – est indéniablement présent, et ce dès le merveilleux solo initial de Jacques Zoon.



Simon Corley

 

 

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