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L'apothéose des Chorégies 2003 Orange théâtre antique 08/02/2003 - et 05* août 2003 Giuseppe Verdi: La Traviata Inva Mula (Violetta), Rolando Villazon (Alfredo), Carlo Guelfi (Giorgio Germont), Martine Olmeda (Flora), Elodie Méchain (Annina), Gilles Ragon (Gastone), Nicolas Testé (Barone Douphol), Philippe Georges (Marquis d'Obigny), Eric Martin-Bonnet (Docteur Grenvil), Martial Defontaine (Giuseppe), Philippe Ermelier (le commissionaire)
Jean-Pierre Aviotte (chorégraphie), Roberto Plate (scénographie), Jacques Rouveyrollis (lumières), Jean-Pierre Capeyron (costumes) Robert Fortune (mise en scène)
Choeurs de l'opéra de Nice, de l'opéra-théâtre d'Avignon et des pays de Vaucluse et de l'ensemble vocal des Chorégies d'Orange
Ballet de l'opéra-théâtre d'Avignon et des pays de Vaucluse
Orchestre de la Suisse Romande
Pinchas Steinberg (direction). Après une première quelque peu perturbée par des alarmes indésirables, la seconde représentation de La Traviata s’est déroulée sans encombre et a pu laisser cette superbe production dévoiler tous ses charmes, ô combien nombreux.
En raison du décès brutal de Bernard Broca, cette nouvelle production de La Traviata s’est transformée en une reprise d’un spectacle présenté en 1999. La mise en scène est classique, belle, sans recherches extravagantes. Robert Fortune prend le parti de remplacer les décors par des projections sur le mur et ainsi l’habille. Il a également la lumineuse idée de montrer un rideau rouge d’opéra qui s’ouvre à la fin de l’ouverture pour laisser place à un intérieur parisien du XIXème. Au second acte, même principe, le rideau s’ouvre sur la façade d‘une maison de campagne: tout ce que le metteur en scène ne peut pas mettre sur la scène, il le présente sur le mur. Au spectateur alors de rêver et d’imaginer… Le metteur en scène sait aussi remplir l’immense espace du théâtre et il confie au choeur le soin d’installer les accessoires, les objets: au début de la fête de Violetta, ce sont les invités qui apportent les gâteaux, les chaises, etc… Au troisième acte, il concentre le jeu scénique sur le lit de Violetta que des invités en grand deuil et avec des fleurs blanches dans les mains suivent comme s’il s’agissait déjà de l’enterrement du personnage. Robert Fortune insiste sur le côté tragique de cette histoire en n’accordant guère d’espoir à l’héroïne, mais il sait s’arrêter avant de tomber dans le morbide, lot presque quotidien des mises en scène actuelles…
Inva Mula s’impose comme l’une des grandes Traviata de ces dernières années. Elle dresse le portrait d’une Violetta humaine, amoureuse jusqu’au sacrifice (elle semble bien peu se défendre contre G. Germont) et jusqu’à la mort (son cri rauque “è tardi” souligne assez qu’elle n’attend que le retour d’Alfredo pour mourir dans ses bras). Vocalement, sa prestation est (presque) irréprochable. Pourtant grande habituée des représentations en plein air, Inva Mula cherche ses marques jusqu’à son air de la fin du premier acte, air qu’elle réussit prodigieusement. Aucune note, aucune vocalise ne lui résistent et elle nous gratifie même du fameux contre-mi final. Mais cette virtuosité serait bien inutile si la chanteuse ne lui adjoignait pas une sensibilité et une musicalité attachantes. La deuxième partie “ah, fors’è lui”, est chantée comme une véritable marche à la mort, que casse le “sempre libera” où Violetta se change en une véritable folle. Traînant sur “croce e delizia”, elle cherche à s’enivrer de ce bonheur auquel elle tente de renoncer. Pour rendre compte honnêtement du travail et du talent d’Inva Mula, il faudrait détailler chaque note. Maria Callas disait toujours que le si bémol final de l’air “Addio del passato” est inchantable sauf si la chanteuse accepte de mourir avec son personnage. La soprano albanaise n’hésite pas à franchir le pas et aboutit tout naturellement à cette note qui s’apparente à une goutte de cristal. Le dernier acte est d’ailleurs celui dans lequel elle se sent le plus à l’aise. Scéniquement, Inva Mula évolue sur le scène immense du théâtre antique avec une grande maîtrise, comme s’il s’agissait de sa propre maison, la rendant ainsi moins grande.
Rolando Villazon confirme les immenses espoirs placés en lui. Il confère au personnage d’Alfredo une sensibilité affinée ainsi que des accents vocaux magnifiques. Le chanteur choisit de tenir ses notes le plus longtemps possible et d’allonger le tempo. Dans “un di felice”, il s’attarde particulièrement sur “eterea”, faisant ressortir tout l’amour qui l’étreint pour Violetta. Au moment où il reçoit la lettre de la jeune femme au deuxième acte, il reste interdit et le chanteur accentue les “m” et “s” de “commosso”, artifice très facile à réaliser car il peut s’appuyer sur une prononciation exemplaire, ce qui n’est pas toujours le cas de sa partenaire. La tension monte et éclate sur des mots qui sont plus parlés que chantés. Rolando Villazon semble entièrement habité par le rôle d’Alfredo et lui donne un relief intéressant en en faisant un fou, notamment dans ses relations avec son père: quand Germont chante “Di Provenza”, le ténor ne peut rester en place, il marche, s’assoit…Dommage seulement qu’il ne se soit pas encore entièrement dégagé de l’influence vocale de Placido Domingo. Lorsqu’il chante “misterioso”, caché, à la fin de l’acte 1, c’est un Domingo jeune que l’on entend: mêmes accents, mêmes respirations… Mais il faut rendre une justice immense à cet acteur-chanteur. Pour une fois, Alfredo n’est pas un jeune homme mièvre, naïf. Non, il a du caractère et de la volonté. Quel plaisir de voir et d’entendre, lors du bal de Flora, ce personnage agissant sous l’emprise de la douleur et non sous celle d’une colère et d’une jalousie hors de propos. Enfin un Alfredo sympathique et non ridicule!
Après avoir triomphé ici dans Rigoletto en 2001, Carlo Guelfi revient avec un autre rôle de père verdien, celui de Germont. La voix est riche en couleurs mais le chanteur semble un peu en retrait et ne montre pas autant d’aisance que les deux autres protagonistes. Il se joue de toutes les difficultés de son rôle, permet d’entendre de belles sonorités (reprise de “Di Provenza”) mais on ne le sent guère concerné par son personnage. De facture très classique, il fait de Germont un être assez froid dont Alfredo a peur. Cette lecture justifie alors les remords qui saisissent le père au dernier acte et la colère du ténor, mais elle laisse une certaine distance. Pour l’avoir vu dans d’autres pères verdiens, Carlo Guelfi reste un artiste très nuancé mais peut-être qu’ici il n’a pas su donner la totalité de sa mesure au personnage. Espérons que de futures représentations le lui rendront plus familier…
Les rôles secondaires sont également à la hauteur des héros de l’opéra. Martine Olmeda reste semblable à elle-même dans le personnage de Flora et sait trouver des accents particulièrement incisifs pour montrer sa colère au marquis. D’une grande assurance sur scène, elle complète agréablement le choeur des invités. Gilles Ragon, méconnaissable en Gastone, conduit ses quelques phrases avec une voix bien projetée mais qui surprend par sa banalité. Depuis quelques temps déjà, sa voix a tendance à perdre son cachet particulier alors qu’elle gagne en volume et en puissance. A souligner l’apparition fugitive mais remarquable de Martial Defontaine en Giuseppe, qui en quelques notes, démontre la puissance et la stabilité de sa voix. Nicolas Testé, en baron, Philippe Georges, en marquis, et Eric Martin-Bonnet, en médecin, complètent cette distribution homogène par leur présence scénique de grande qualité. L’intérêt des Chorégies d’Orange est de présenter, certes, peu d’oeuvres mais d’y réunir les (presque) titulaires actuels des rôles. En outre, la direction artistique soigne les rôles moins importants et permet à de jeunes artistes, que l’on retrouve ensuite dans des théâtres prestigieux et dans des rôles plus conformes à leur talent, de faire leurs premières armes. Il serait bien étonnant que derrière Douphol, d’Obigny ou autres, ne se cachent pas quelque Alfredo ou quelque Germont très intéressants…
La direction de Pinchas Steinberg est subtile, sensible et précise même si, comme dans le concert lyrique de la veille, des décalages avec les chanteurs ou le choeur sont à noter. L’ouverture est amenée avec douceur et peu à peu le drame s’installe, rompu et retardé, le temps de quelques mesures, par une attaque particulièrement vive et sonore à l’arrivée des invités. Le chef adopte un tempo assez vif pour le premier acte, notamment au moment du brindisi, comme s’il souhaitait conduire Violetta plus vite et plus sûrement à la mort. Tout le premier acte ressemble davantage à une course éperdue vers la folie qu’à une joyeuse fête chez une demi-mondaine du XIXème. Et n’est-ce pas là justement le sujet de La Traviata? Pinchas Steinberg se montre également très attentif aux transitions comme, par exemple, avant l’attaque de l’air du père “Pura sicome”: les quelques notes précédant ce passage sont jouées lentement, introduisant la suite avec une certaine retenue.
Les Chorégies d’Orange 2003 se sont achevées avec une bien belle production de l’opéra de Verdi, rendant hommage et à la musique et au livret. Au moment des applaudissements, le metteur en scène a tenu à accueillir sur la scène tous les intermittents qui avaient accepté de jouer ce soir et chanteurs, habilleuses, chef, électriciens, choristes se sont unis dans un salut final et sous une ovation plus que méritée. Une vive émotion et peut-être l’une des plus honnêtes solutions pour tenter de régler les difficultés actuelles…
A noter:
- Inva Mula et Rolando Villazon se retrouveront à la Bastille les 31 mars et 2, 7, 9, 12, 15, 22 et 25 avril prochains pour la reprise de la production de Jonathan Miller de La Traviata en compagnie de Roberto Frontali en G. Germont sous la direction de Jésus Lopez-Cobos.
- Au programme des Chorégies 2004: Nabucco et Carmen, deux récitals (Barbara Hendricks/Dimitri Hvorostovsky et Natalie Dessay) et deux concerts symphoniques (Vadim Repin et Maxim Vengerov). Manon Ardouin
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