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Mémoire et souvenir Prades Abbaye Saint-Michel de Cuxà 08/08/2003 -
Dimitri Kabalevski : A la mémoire de Serge Prokofiev, opus 79 (*)
Dimitri Chostakovitch : Trio avec piano n° 2, opus 67 (+)
Serge Prokofiev : Adagio pour violoncelle et piano, opus 97 bis (*)
Piotr Ilyich Tchaïkovski : Sextuor à cordes «Souvenir de Florence», opus 70 (#)
Erika Raum (+), Olivier Charlier (#), Hagaï Shaham (#) (violon), Bruno Pasquier (#), Pierre-Henri Xuereb (#) (alto), Arto Noras (+), Yvan Chiffoleau (* #), Raphael Wallfisch (#) (violoncelle), Denis Weber (*), Christian Ivaldi (+) (piano)
Proposé «dans le cadre du projet européen "Tricentenaire de Saint-Pétersbourg"» (mais on aurait aussi bien pu invoquer le cinquantième anniversaire de la mort de Prokofiev), le programme de ce concert 100% russe s’articulait autour de la mémoire (Kabalevski, Chostakovitch, Prokofiev) et du souvenir (Tchaïkovski).
A défaut de plus ample information, on ne saura pas pourquoi Kabalevski a écrit en 1965, soit douze ans après la mort du compositeur, une pièce pour violoncelle et piano sobrement intitulée A la mémoire de Serge Prokofiev. Toujours est-il qu’Yvan Chiffoleau et Denis Weber démontrent que le thème chaudement lyrique qui la parcourt, ironiquement déformé dans une partie centrale plus vive suivie d’une cadence, est bien «à la manière de», tout en mettant en valeur le caractère élégiaque et parfois même méditatif de ces dix minutes de musique.
Dédié à la mémoire d’Ivan Sollertinsky, un proche du compositeur, le Second trio avec piano de Chostakovitch (1944) confronte le tempérament exubérant d’Erika Raum à la profonde concentration d’Arto Noras: la violoniste canadienne devra attendre le dernier accord pour échanger enfin un regard avec le violoncelliste finlandais, regard qu’elle aura en vain tenté d’obtenir depuis les premières notes. Qu’importe: non seulement le solide métier de Christian Ivaldi veille derrière eux, mais les trois musiciens s’impliquent à l’unisson dans cette partition tour à tour froide, cinglante et déchirante, culminant dans un Scherzo particulièrement spectaculaire (donné en bis), sorte de mordante course à l’abîme.
Après la copie sous forme d’hommage (Kabalevski), l’original: Yvan Chiffoleau et Denis Weber reviennent en scène pour jouer le bref (cinq minutes) Adagio (1944) que Prokofiev arrangea lui-même à partir de son ballet Cendrillon (Duo du prince et de Cendrillon) et où il confirme son talent de mélodiste hors pair.
Gorgé de soleil et de beauté, le Sextuor «Souvenir de Florence» (1890) de Tchaïkovski n’est pas sans affinités avec ce ciel bleu (retrouvé après l’orage) et cette splendeur de l’abbaye Saint-Michel de Cuxà. C’est peut-être pour cette raison que les interprètes réunis pour l’occasion semblent habités par l’expansivité radieuse de l’œuvre et offrent au public une fête permanente, toute de vie, de rebond et de chant. Les individualités sont à l’honneur – ainsi, dans l’Adagio cantabile e con moto, le vibrant dialogue entre Olivier Charlier et Yvan Chiffoleau, bientôt rejoints par Bruno Pasquier – mais les trois «seconds rôles» (Hagaï Shaham, Pierre-Henri Xuereb et Raphael Wallfisch) méritent autant d’éloges, tant l’ensemble, d’une mise en place à la précision phénoménale, fait preuve d’une unité qui rend justice à la plénitude symphonique du texte. Si l’Allegro moderato est bissé, les autres mouvements ne le cèdent en rien: outre l’Adagio déjà mentionné, il serait injuste d’oublier l’Allegro con spirito initial, dont la tension trouve en quelque sorte une traduction physique dans la rupture d’une corde de l’instrument d’Olivier Charlier, intervenue fort heureusement à une poignée de mesures de la fin, et l’Allegro vivace final, sans précipitation, entre esprit quasi haydnien et lyrisme débordant.
Ce concert sera diffusé sur France-Musiques le jeudi 28 août à 9 heures.
Simon Corley
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