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Clarinettes et quintettes Prades Prieuré de Marcevol et Abbaye Saint-Michel de Cuxà 08/05/2003 -
Prieuré de Marcevol, 18 heures
Robert Schumann : Phantasiestücke, opus 73 (#)
Suzanne Giraud : Duos pour Prades (création) (+)
Charles Koechlin : Réveil, extrait de Dix-huit confidences d’un joueur de clarinette, opus 141 (arrangement pour quatre cors)
Felix Mendelssohn : Konzertstück pour deux clarinettes et piano, opus 113 n° 2 (+ *)
Wolfgang Amadeus Mozart : Cosi fan tutte, K. 588 (extraits, transcription Sabine, Rainer et Wolfgang Meyer) (* # +)
José Luis Estellés (#), Michel Lethiec (+), Katerina Vachova (*) (clarinette), Denis Weber (piano), Arto Noras (violoncelle), André Cazalet et trois étudiants de l’Académie internationale de musique (cor)
Abbaye Saint-Michel de Cuxà, 21 heures
Wolfgang Amadeus Mozart : Quintette pour piano et instruments à vent, K. 452
Wynton Marsalis : Meelan pour basson et cordes (création française)
Robert Schumann : Quintette pour piano et cordes, opus 44
François Leleux (hautbois), Michel Lethiec (clarinette), Milan Turkovic (basson), André Cazalet (cor) [Mozart], Milan Turkovic (basson), Quatuor Artis [Marsalis], Raphaël Oleg, Gérard Poulet (violon), Pierre-Henri Xuereb (alto), Yvan Chiffoleau (violoncelle) [Schumann], Jeremy Menuhin (piano)
Soleil radieux, sites somptueux, public nombreux, artistes heureux, le Festival Pablo Casals se poursuit dans des conditions idéales, avec une nouvelle journée riche en contrastes quoique proposant deux concerts à la thématique plus homogène que ceux de la veille (voir ici).
1. De zéro à trois clarinettes
Pour le concert de dix-huit heures «hors les murs», c’est le prieuré (XIIe siècle) de Marcevol – dans un environnement d’une beauté à couper le souffle, dominant les vallées alentour mais surplombé par les imposants massifs entourant le Canigou – qui accueillait un programme «Clarinette à la carte», présenté avec verve par Michel Lethiec, directeur artistique du festival, et mettant en valeur tour à tour la tendresse, la modernité, la virtuosité et la malice de l’instrument.
Après les trois Phantasiestücke de Schumann interprétés avec grâce et agilité par José Luis Estellés, soliste de l’Orchestre de la ville de Grenade, et Denis Weber, Michel Lethiec et Arto Noras donnaient en création les Duos pour Prades (2002) de Suzanne Giraud. Ainsi qu’elle le précise en avant-propos, il s’agit d’une commande du festival dédiée au clarinettiste français et au violoncelliste finlandais, la formation, bien que rarement pratiquée, s’étant imposée presque naturellement, puisqu’elle associe le violoncelle de Casals et la clarinette de celui qui poursuit son œuvre à Prades. Cette série de onze pièces brèves «à la mémoire de Pablo Casals» consiste en une succession quasi alternée de morceaux rapides d’une durée d’une minute (numéros 1, 3, 5, 7, 10 et 11) et de morceaux lents d’une durée de deux minutes (numéros 2, 4, 6, 8 et 9), soit une durée totale de seize minutes environ.
Décidément, à l’image des courtes sections formant Le bel été récemment créé à Paris (voir ici), la forme aphoristique sied à Suzanne Giraud. Car si l’ordre des pièces n’est pas laissé à la libre appréciation des exécutants (la numérotation des mesures s’effectue d’ailleurs en continu sur l’ensemble de la partition), le compositeur n’exclut pas qu’elles puissent être jouées séparément, ou bien encore successivement par différents duos placés en différents points de la salle. Au-delà des préoccupations techniques – recours aux micro-intervalles et, d’une pièce à l’autre, à différentes scordaturas, qui contraignent Arto Noras à de nombreux et délicats changements d’accord – l’écriture, d’une maîtrise et d’un brio qui évoquent parfois Ligeti – tant elle se fonde sur une connaissance parfaite des registres, des timbres et des modes de jeu pour atteindre un objectif sonore et expressif avec une précision confondante – élève d’emblée ces Duos, servis par des musiciens hors pair, au statut de classique.
Ludique, sorte de prélude en forme de fanfare, la première pièce exploite les stridences de la clarinette et les graves du violoncelle. La deuxième fait alterner des dessins sinueux et un épisode fantomatique, où les courtes notes aiguës de la clarinette s’opposent aux divers jeux de pizzicato du violoncelle. Dans la troisième, la petite clarinette en mi bémol, volubile, rappelle parfois le folklore d’Europe centrale. Très spectaculaire, la quatrième est construite sur une lente descente du violoncelle en notes répétées à l’archet, depuis l’aigu jusqu’aux raclements dans le grave, et ponctuées par un pizzicato main gauche, pendant que la clarinette se livre à des arpèges rapides. La clarinette, dans la cinquième pièce, rappelle à nouveau l’Europe centrale, sur des battues serrées du violoncelle. Avec ses grands gestes instrumentaux, la sixième s’apparente à un récitatif qui tend vers l’extrême aigu de la clarinette, passant par des incantations et des glissandi jazzy. C’est à la petite clarinette, toujours ironique et rejointe par les harmoniques du violoncelle, qu’est confiée la septième pièce, qui s’achève comme dans un songe, sur les arpèges évanescents des deux instruments. Les rythmes pointés de la clarinette introduisent à nouveau des gestes théâtraux dans la huitième pièce, tandis que le violoncelle, dans son registre aigu, décrit des motifs ondulants. Dans la neuvième pièce, la clarinette énonce, forte, une mélodie en valeurs simples qui revient buter sur une note, le violoncelle alternant rythmes pointés, longs traits ou trilles. La dixième fait contraster les gémissements de la clarinette en quarts de ton dans l’aigu avec les traits rapides du violoncelle. La dernière pièce, entraînante et rythmée, fait référence au jazz et semble remplir une fonction récapitulative, formant ainsi une brève conclusion au cycle.
La suite du programme, d’humeur plus légère, débute par un clin d’œil provocateur d’André Cazalet et de trois de ses élèves de l’Académie internationale de musique, à savoir une transcription pour quatre cors de Réveil, extrait... des Dix-huit confidences d’un joueur de clarinette de Koechlin. Il est vrai que cette sonnerie d’allure classiquement cynégétique, à peine perturbée par quelques couleurs modales, semblait destinée à un tel quatuor.
Le second Konzertstück de Mendelssohn, «grand duo pour beignets aux prunes et tarte à la crème», s’inspire d’une hypothétique et sympathique «bataille de Prague», particulièrement appropriée en la circonstance, puisque c’est la jeune Katerina Vachova, soliste de l’Orchestre de l’Opéra d’Etat de Prague et lauréate du Concours international du printemps de Prague l’année dernière, qui, en compagnie de Michel Lethiec, tient la partie de ce duo originellement écrite pour cor de basset. Les trois mouvements (vif/lent/vif) de cette musique volontairement superficielle sont transfigurés par le soin méticuleux qui y est apporté, mêlant subtilité et humour, brillant et lyrisme.
Dans le même esprit, les trois clarinettistes se retrouvent pour quatre extraits de Cosi fan tutte de Mozart transcrits par la famille Meyer: le plaisir que prennent les trois complices à jouer ces divertissements d’une redoutable mise en place ne leur fait en rien oublier qu’il s’agit là de certaines des musiques les plus remarquables de Mozart, qui avait d’ailleurs une prédilection particulière pour l’instrument-roi de cette fin d’après-midi.
Ce concert sera diffusé sur France-Musiques le vendredi 8 août à 12 heures 35.
2. Trois quintettes et treize musiciens
Le soir à Saint-Michel de Cuxà, deux immenses classiques de la musique de chambre, tous deux en mi bémol, au demeurant, entouraient la création française de Meelan (2000), quintette pour basson et cordes du trompettiste de jazz Wynton Marsalis. Dans ces trois pièces d’une durée de cinq minutes chacune, Milan Turkovic, dédicataire de l’œuvre, et le Quatuor Artis, debout à l’exception du violoncelliste, n’auront déçu que ceux qui préfèrent de la mauvaise musique «sérieuse» à un break sans prétention. Si Marsalis ne révolutionne évidemment pas quoi que ce soit – ce qui n’était certainement pas son but – il introduit, de façon assez inattendue, le basson dans la famille du jazz, passant en revue avec ironie et tendresse les clichés du genre: Blues détraqué, Tango que ne renierait pas Piazzolla et Be-bop syncopé.
Le concert avait débuté par le Quintette pour piano, hautbois, clarinette, basson et cor de Mozart, où une fameuse équipe de souffleurs (François Leleux, Michel Lethiec, Milan Turkovic et André Cazalet) opte pour des couleurs franches, simples et directes, en harmonie avec le jeu détaché de Jeremy Menuhin. Ce Mozart a de la carrure, il devient même roboratif dans l’Allegretto final, et nul ne saurait s’en plaindre, tant le dialogue entre les musiciens et leur sens du phrasé font merveille.
Dans le Quintette pour piano et cordes de Schumann, Jeremy Menuhin se retrouve en compagnie d’un attelage franco-français de qualité (Raphaël Oleg, Gérard Poulet, Pierre-Henri Xuereb et Yvan Chiffoleau). Le violon chaleureux d’Oleg mène un Allegro brillante conquérant comme il se doit, mais le deuxième mouvement demeure retenu, dans une vision plus nostalgique et résignée que résolument sombre ou pathétique, et le Scherzo ne se transforme pas en démonstration de virtuosité. Le Finale vient couronner une conception d’ensemble fidèle à l’esprit et au texte, pas essentiellement symphonique mais privilégiant l’équilibre, la joie, la résolution et la sérénité retrouvée de cette exceptionnelle année 1842.
Simon Corley
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