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A écouter les yeux fermés!

München
Nationaltheater
07/22/2003 -  07/24/2003*
George Frideric Handel: Rinaldo
Ann Murray (Rinaldo), Dominique Visse (Goffredo), Deborah York (Almirena et une sirène), Axel Köhler (Eustazio), Nathan Berg (Argante), Veronica Cangemi (Armida et une sirène), Christopher Robson (Mage, le héraut)
Paul Steinberg (décors), Buki Shiff (costumes), David Alden (mise en scène)
Bayerische Staatsorchester
Ivor Bolton (direction)

Toujours dans le cadre du festival, le Staatsoper propose également de revoir la mise en scène colorée de Rinaldo de David Alden. Une fois de plus, le metteur en scène ne peut s’empêcher de charger la scène d’objets encombrants et parfaitement inutiles. Quelques énigmes subsistent: pourquoi un pantin immense entre en scène et effraie Almirena? Pourquoi revient-il à la fin de l’opéra?


La scène s’ouvre sur une salle de la maison de Goffredo. La pièce est tapissée d’un papier peint représentant des mains et est “meublée” d’un canapé orange et d’une tente rouge dans laquelle Rinaldo est enfermé. Le premier acte propose un décor assez criard mais encore intelligible. Quelques bonnes idées sont à noter, notamment lorsqu’Argante entre en scène et que la grande croix de Goffredo sert de cadenas: les divisions entre les deux religions sont alors bien rendues. Le début du 2ème acte, en revanche, est nettement plus mystérieux. Rinaldo, Goffredo et Eustazio sont attachés par une corde et traverse la scène de part et d’autre dans un attitude d’extase. Est-ce une manière de symboliser le voyage (initiatique?) vers le monde des ennemis? Toujours est-il que Goffredo ne lâche pas une seconde son crucifix! Ils arrivent enfin à Jérusalem comme le souligne l’hideux néon “Gerusalemme” devant lequel est représenté, à l’aide de lumières, un toboggan que dévalent des femmes nues.

Passé le choc de la mise en scène, on se console avec une distribution homogène dans laquelle tous les chanteurs parviennent à donner une personnalité et une originalité à leur rôle.
Après David Daniels, c’est au tour de la mezzo irlandaise Ann Murray d’endosser le voyant imperméable bleu de Rinaldo. Bien que le personnage ne soit pas d’un intérêt dramatique immense, elle arrive à laisser transparaître une infinie douceur notamment dans le fameux air “cara sposa”. La chanteuse et le chef attaquent ce passage sur un crescendo inspiré et toutes les notes s’enchaînent en une logique imparable, sorte de symbolique de l’intrigue. Ann Murray se montre également très soucieuse des récitatifs et leur redonne leurs lettres de noblesse. La comparaison avec Vivica Genaux, qui vient de triompher au disque dans la récente intégrale de René Jacobs, est tentante et on préférera une Ann Murray plus intérieure, plus discrète à une Vivica Genaux éblouissante, mais pâle dramatiquement: la mezzo de ce soir est une interprète sincère et non une machine à faire des vocalises, si bien soient-elles! L’air “il tricerbero umiliato” lui donne l’occasion de déployer les couleurs de sa voix, couleurs qui se confondent alors avec les instruments, notamment dans les graves: elle accentue particulièrement le terme “umiliato” et commence l’air en mezza-voce, renforçant ainsi l’intensité dramatique. Physiquement, elle adopte un maintien masculin, marche comme un homme et soutient l’illusion jusqu’à la fin de la représentation, sans faillir.
La soprano Veronica Cangemi qui a déjà fait ses preuves chez Haendel à de nombreuses reprises et avec grand succès, confirme sa parfaite adéquation vocale à cette esthétique musicale. La voix est légère quand elle chante “Molto voglio” et pleine pour “Furie terribili”. Dotée d’un instrument d’une immense qualité, elle charme les personnages et le public mais sait aussi enlaidir sa voix quand le contexte l’exige: le fameux air “Vo far guerra” est mené avec violence et Veronica Cangemi parvient à transformer le timbre de sa voix pour davantage accentuer son rôle de magicienne en colère. Elle interprète une sorcière-magicienne remarquable de rouerie et en même temps capable d’humanité dans le duo du 3ème acte avec Argante. Si la mise en scène cherche à en faire une délurée, son interprétation prend des distances avec cette approche. Seule belle image de la représentation, elle se retrouve juchée sur un dragon, façon hydre de lerne, crachant mille feux.
Deborah York, en Almirena, est une habituée de ce rôle car elle a participé à la première de ce spectacle et aux reprises. Elle possède une voix fraîche, fruitée et rodée aux vocalises haendeliennes mais elle devrait ne pas forcément rajouter tant d’aigus à la fin des airs. Ils ne sont pas toujours très brillants et un peu déplacés comme dans son premier air “Combatti da forte”, chanté par ailleurs avec beaucoup de conviction et d’engagement. Sa douceur s’épanouit fort heureusement dans un superbe “Bel piacere”. En revanche, la chanteuse déçoit un peu dans l’une des plus belles pages et peut-être l’une des plus difficiles de Haendel “Lascia ch’io pianga”. Sous la conduite d’Ivor Bolton, ils adoptent un tempo trop vif et ne laissent pas une place suffisante à la douleur exprimée par le personnage. Toutefois l’enchaînement entre la deuxième partie et la reprise du thème premier est habilement amené car Deborah York ne respire pas et donc ne coupe pas l’élan de la voix. Une fois de plus, les ajouts dans cette reprise sont totalement hors de propos et transforment l’intention de cet air, qui se veut douloureux et doux.
Après avoir chanté récemment les rôles du héraut et du mage sous la direction de René Jacobs, Dominique Visse monte en grade et s’attaque au rôle de Goffredo avec beaucoup de talent et de musicalité. Il atteint le sommet de son expressivité dans l’air “Sorge nel petto”, air d’une immense tristesse: il l’attaque avec une voix très pure, presque blanche et amplifie au fur et à mesure. Sa grande pratique du chant a capella et au sein d’un ensemble rigoureux lui permet de moduler le volume de sa voix et de jouer le rôle d’une sorte de “basse continue” dans les ensembles. S’adaptant à toutes les mises en scène (si farfelues soient-elles), il donne une image d’un père meurtri par la mort de sa fille Almirena mais sait aussi “se lâcher” chez Armida. Ses prouesses d’acteur et de chanteur sont, une fois de plus, remarquables et il réussit admirablement le pari de se frotter à un rôle qui ne lui est pas habituel. Entre la mère insupportable de L’Opéra Seria et le capitaine général de l’armée des Chrétiens de Rinaldo, il y a un fossé immense mais que Dominique Visse comble avec grand art.
Nathan Berg campe un impressionnant et terrible Argante. Son entrée en scène est particulièrement travaillée avec son costume en or et son long manteau très (trop) richement orné. Toutefois on marquera une petite préférence pour l’interprétation et la violence contenue de Laurent Naouri pour l’avoir entendu dans l’air “Sibillar gli angui d’Aletto” que Haendel a tiré de la cantate Aci & Galatea. Cette mince réserve mise de côté, on ne peut que louer l’interprétation de ce chanteur qui a beaucoup appris auprès de William Christie et autres. Il donne toute la mesure de son talent dans l’air “Vieni, o cara, a consolarmi”, qui devient une plainte expressive, douce et en même temps douloureuse. La mise en scène épargne étrangement son personnage et, si ce n’est une apparition en armure, il est relativement bien traité.
La performance d’Axel Köhler, dans le rôle d’Eustazio, est difficile à apprécier car il parvient à modifier entièrement le timbre de sa voix d’un air à l’autre. Autant il utilise des sons assez inaudibles et assez laids dans le premier air “Col valor, colla virtù“, autant il fait preuve d’une certaine musicalité dans la suite de la représentation: “Siam prossimi al porto" est chanté avec une grande finesse. La première impression qui ressort de l’audition de ce chanteur est qu’il utilise uniquement la résonance de sa voix et non sa voix. Scéniquement il se sort très bien de son rôle que le metteur en scène voit comme un adjoint cupide de Goffredo, sorte de double négatif. Il montre bien plus de résonance que de voix ou de timbre.
Dans cette version, une place est accordée au mage, chanté par un Christopher Robson, qui se sort avec les honneurs de son rôle. Il interprète un air, monté sur des échasses et déguisé en clown. David Alden ne croirait-il pas aux vertus de la magie?
Ivor Bolton, bien connu à Munich pour être un grand spécialiste de Haendel et de baroque en général, se montre très convainquant. Sa direction ne souffre aucune baisse de tension mais peut-être faudrait-il qu’il laisse transparaître un peu plus de chaleur et d’élégance comme savent le faire William Christie et Marc Minkowski, surtout.



A l’issue de cette représentation, un sentiment de tristesse s’installe. Le public munichois est partagé entre ceux qui quittent la salle à l’entracte, ou même pendant la représentation, et ceux qui font un triomphe aux chanteurs, laissant de côté une mise en scène inintéressante. Nombreux sont les chefs et les chanteurs capables de porter au plus haut niveau la musique de Haendel. Mais les récentes productions scéniques sont très souvent empreintes d’une certaine laideur et ternissent une représentation et un engagement musical remarquables. A vouloir trop chercher à faire passer un message aux spectateurs du XXIème siècle, on en vient à dénaturer certaines oeuvres. Haendel n’est pas un compositeur qui attend que l’on s’esclaffe dans ses opéras. Et pourtant entre les chenilles d’Ariodante chez J.Lavelli à Garnier en 2001, le poussin jaune de Rinaldo chez Lowery et Hosseinpour à Montpellier et à Berlin la saison dernière et ce soir les aigles de David Alden, le rire est là… Peut-on alors encore mettre Haendel en scène? Ne faudrait-il pas mieux privilégier les versions concertantes qui laissent une place primordiale à la musique et non secondaire…




A noter: reprise de ce spectacle les 1, 5 et 10 juin 2004 au Nationaltheater. La distribution est identique à l’exception de Noemi Nadelmann qui remplace Veronica Cangemi dans le rôle d’Armida.


Manon Ardouin

 

 

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