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Philippe Jaroussky ou la naissance d’un musicien. Reims Abbaye de Saint-Michel en Thiérache 06/29/2003 - Divers compositeurs: Marco Uccellini, Claudio Monteverdi, Gian Paolo Cima, Luigi Rossi… Philippe Jaroussky (sopraniste)
Enrico Onofri (violon), Emilia Gliozzi (violoncelle), Jean-Marc Aymes (orgue), Matthias Spaeter (théorbe)
Ensemble La Fenice
Jean Tubéry (cornet à bouquin et direction) Depuis 1987, l’abbaye de Saint-Michel en Thiérache accueille un prestigieux festival dédié à la musique baroque. Son histoire trouve son origine dans l’orgue qui est dans l’abbaye elle-même, puisque les organisateurs avaient l’intention de promouvoir cet instrument Jean-Boizard, datant de 1714. Quel autre choix avaient-ils que de proposer des concerts ayant un lien direct avec la musique ancienne et baroque? Les plus grands noms sont passés et passent encore dans ce lieu et le public, très fidèle, revient chaque année applaudir des musiciens confirmés ou en passe de l’être. A raison de deux concerts tous les dimanches, entrecoupés par une rencontre animée par le directeur du festival, pendant un mois, un mois et demi, la programmation offre une large panoplie de la musique baroque et tente chaque semaine de mettre l’accent sur un thème précis. Loin des tapages médiatiques dont sont l’objet des festivals plus connus, le festival de Saint-Michel en Thiérache brille par son immense qualité et par la simplicité et la gentillesse des gens qui le font vivre.
Philippe Jaroussky et l’ensemble La Fenice proposent un programme particulièrement original et ambitieux consacré à la musique italienne jouée en France au temps de Mazarin. Alternent des pièces instrumentales et des cantates pour voix seule, des oeuvres connues et des oeuvres moins connues . L’abbaye n’est pas une salle de concert et les voix ont tendance à se perdre. Les musiciens ont alors la bonne idée de se placer près de l’orgue puis vers la fin du concert, de descendre et de se retrouver dans le transept. Cette sympathique petite mise en scène est particulièrement habile car elle permet d’entendre, dans toute sa splendeur, la voix de Philippe Jaroussky, mais aussi d’exécuter des pièces comme la “Sonata in risposta, cornetto et violino” de Lodovico Viadana, qui demande un système d’écho entre le cornettiste, resté en haut, et les autres instrumentistes.
Ph. Jaroussky, découvert dans la tournée de La Verita in Cimento, a fait beaucoup de progrès et surtout il s’est débarrassé de sa fâcheuse tendance à chanter “à la manière de“ Gérard Lesne, son “découvreur”. Enfin il est un musicien à part entière et il met au service de la musique son don vocal et sa technique sans faille. Ce jeune chanteur a mûri et cela se ressent dans sa manière de poser sa voix, d’amener le texte, de préparer ses attaques… Il ne fait plus simplement des notes, il fait aussi de la musique. Il est indéniable que Philippe Jaroussky possède un matériau absolument extraordinaire et rare. Dans la mélodie anonyme “Bienheureuse est mon âme”, sorte de monodie, il se montre fascinant tant sa voix est pure, claire. Mais il se sort aussi brillamment des nombreuses vocalises qui ponctuent la cantate “In caligine umbrosa” de Giovanni Battista Bassani. Il enchaîne sans difficulté vocalise sur vocalise, se nourrissant de l’une pour engager l’autre. La seule petite réserve porterait sur sa diction qui n’est pas toujours excellente car il semble privilégier la clarté de sa voix à l’intelligibilité.
Les instrumentistes de l’ensemble La Fenice sont en tous points remarquables. Quelle musicalité et quelle émotion se dégagent de leurs doigts! La “Passacalio” de Mauritio Cazzati, qui ressemble furieusement au final de La Calisto de Cavalli, est une merveille où tous les instruments - violoncelle puis théorbe, cornet et enfin violon - entrent sur un crescendo et se retirent un par un sur un decrescendo. Les entrées et les sorties sont amenées avec beaucoup d’intelligence et de subtilité, quelque peu gâchées par un public ébloui qui a applaudi trop tôt.
Ce concert laisse une excellente impression et confirme les possibilités encore inexplorées de Philippe Jaroussky et la rigueur musicale de l’ensemble La Fenice. Une certaine osmose se crée entre le chanteur et les instrumentistes qui essaient ensemble de faire découvrir des oeuvres qui, a priori, ne sont pas les meilleurs de l’époque, mais ils prennent le soin d’en tirer le maximum et de les rendre intéressantes et vivantes. Manon Ardouin
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