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Aci et Galatea ou Polifemo et Galatea?

Reims
Abbaye de Saint-Michel en Thiérache (Aisne)
06/22/2003 -  
George Frideric Handel: Aci, Galatea e Polifemo
Sandrine Piau (Aci), Delphine Haidan (Galatea), Laurent Naouri (Polifemo)
Le Concert d'Astrée
Emmanuelle Haïm (direction)

Après de brillants concerts en mars 2002 et après un enregistrement en décembre dernier, le Concert d’Astrée et Emmanuelle Haïm remontent la cantate peu connue, Aci, Galatea e Polifemo. Haendel s’est particulièrement intéressé à cet épisode de la mythologie antique non seulement dans le masque, Acis and Galatea de 1718, mais aussi dans cette cantate, démesurément longue pour ce genre musical, composée dix ans avant. Contrairement au masque qui compte plusieurs personnages, la cantate n’est chantée que par trois solistes (soprano, contralto, basse) et ramasse l’action, la rendant ainsi plus spectaculaire et plus intense. Musicalement, cette oeuvre n’a rien à envier à Acis and Galatea, et possède un certain nombre d’airs virtuoses et dramatiques de toute beauté.



A l’exception de Delphine Haidan, Emmanuelle Haïm a repris la même équipe que précédemment mais a nettement développé les idées qui étaient en germe dans les premiers concerts. Les instrumentistes sont en petit nombre et la cantate retrouve son caractère intime initial. Le disque, paru récemment, témoigne également de ce nouveau travail et il est bien supérieur à ce que l’on avait pu entendre l’année dernière.


Sandrine Piau, qui, après la défection de Natalie Dessay l’année dernière, a assuré non seulement l’enregistrement mais aussi une grande partie des concerts, est égale à elle-même. Elle se joue avec grande maîtrise de toutes les difficultés vocales mais n’apporte pas une étoffe suffisante au personnage pour marquer ce rôle. Usant et abusant des couleurs agréables de sa voix, elle chante tous les airs avec la même monotonie et ne souligne pas l’évolution du personnage. Sa voix, si agile soit-elle, laisse entrevoir des “a” graves fort laids et des notes piquées qui s’apparentent davantage à des cris, quand elles ne sont pas fausses, comme dans l’air “Che non può la gelosia”. Seule la page “Qui l’augel da pianta in pianta”, difficile par sa longueur et par sa tension vocale, donne à Sandrine Piau la possibilité de mêler un sentiment de douleur, notamment avec la retenue qu’elle marque sur “Ma si fa cagion”, à une virtuosité vocale. En revanche, pour la magie, il est préférable d’écouter l’enregistrement. Sa prestation est très bien mais loin d’être exceptionnelle.
Delphine Haidan, nouvelle venue, possède d’immenses qualités qu’elle ne met en avant que dans la seconde partie du concert. Il faut attendre l’air “Se m’ami, o caro” pour l’entendre déployer sa voix de contralto. Attentive au texte, elle souligne la douleur de Galatea en accentuant la répétition de la sifflante dans “lasciami sola a sospirar” et en découpant nettement les syllabes Enfin elle parvient à créer une véritable intensité dramatique! Delphine Haidan se montre très (trop) appliquée dans le reste du concert ce qui restreint quelque peu son jeu. Mais dans une véritable salle, elle donnerait beaucoup de consistance à cette partition car les nuances qu’elle apporte à certains moments laissent supposer une grande musicalité de sa part. Son timbre, de plus, est assez fascinant et il devient assez rare de trouver de vraies contralto. La comparaison avec Sara Mingardo ne tourne pas à son désavantage mais Delphine Haidan sera parfaite quand elle saura dominer son inquiétude.
Mais le grand triomphateur, paradoxalement, du concert est sans nul doute Laurent Naouri. Dès son entrée dans un air vif “Sibilar l’angui d’Aletto”, il crée une atmosphère et le drame commence à se mettre en place. Contrairement aux deux chanteuses qui tentent d’estomper la frontière entre la version scénique et la version concertante, Laurent Naouri la brise irrémédiablement et utilise sa voix à des fins dramatiques: le théâtre est là. Il ne joue pas Polyphème, il est Polyphème. Très attentif aux récitatifs et à leur contenu, il mène l’action et ses partenaire d’une main de maître. Haendel favorise particulièrement sa partie avec l’air “Fra l’ombre e gl’orrori”, dans lequel le chanteur trouve ses plus effrayantes expressions, ses plus menaçantes. La partition propose des tonalités différentes et un jeu d’écho se crée entre des notes basses et des notes hautes. Laurent Naouri se souvient aussi qu’il a fait ses premières armes haendeliennes avec Marc Minkowski car les reprises sont chantées à mezza voce et à un tempo plus lent. L’air “Non sempre, no, crudele” est un petit bijou de douceur et le chanteur apporte une touche de lumière dans la reprise.
Au bout du compte, la mythologie semble revisitée car, artistiquement, Galatea et Polifemo sont bien meilleurs et bien plus musicaux qu’Aci.


Emmanuelle Haïm, qui fait figure de nouvelle spécialiste de Haendel, dirige avec beaucoup de fermeté et d’énergie un petit ensemble réunissant d’excellents solistes. Le violoncelliste Atsushi Sakaï (fidèle des Talens Lyriques et de Christophe Rousset) en est un très bon exemple notamment dans l’air “Non sempre, no, crudele” de Polyphème: il apporte une note de douceur contrastant en cela avec la voix menaçante et inquiétante de Laurent Naouri. Le chef du Concert d’Astrée affine son jeu au fur et à mesure des concerts mais n’accorde pas encore à la musique la liberté de s’épanouir totalement. Dans l’ouverture, par exemple, elle la retient trop. Espérons que cette tendance à la sécheresse s’estompera au cours des années.



Même si l’abbaye de Saint-Michel en Thiérache est un très beau lieu, elle n’est pas forcément l’endroit rêvé pour exécuter une oeuvre aussi lourde et aussi instrumentée. L’acoustique est assez mauvaise et les voix ont tendance à se perdre et à devenir inaudibles. Certes Laurent Naouri résout rapidement ce problème car s’il chante un peu trop fort son premier air, il nuance ensuite et utilise cette contrainte matérielle pour en faire un atout dramatique supplémentaire. Sandrine Piau et Delphine Haidan, en revanche, se laissent submerger par cette difficulté et le premier duo ne permet pas de différencier leurs deux voix.
Cette oeuvre, laissée de côté pendant plus de deux siècles, retrouve toutefois ses lettres de noblesse aujourd’hui. On ne peut que louer l’initiative du Concert d’Astrée, d’Emmanuelle Haïm et de ses chanteurs de ressusciter une telle musique avec autant de talent.

A noter: enregistrement paru chez Virgin Veritas.


Manon Ardouin

 

 

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