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Hamlet et Ophélie: une double résurrection.

London
Covent Garden
05/12/2003 -  et les 15, 20*, 23, 28, 30 mai 2003
Ambroise Thomas: Hamlet
Robert Lloyd (Claudius), Yvonne Naef (Gertrude), Simon Keenlyside (Hamlet), Natalie Dessay (Ophélie), Jonathan May (Polonius), Yann Beuron (Laërte), Graeme Broadbent (Horatio), Edgaras Montvidas (Marcellus), Markus Hollop (fantôme), Darren Jeffery (premier fossoyeur), Matthew Beale (second fossoyeur), Toby Sedgwick (acteur roi), Clive Mendus (acteur reine).
Orchestre et Choeur du Royal Opera House, Louis Langrée (direction).
Christian Fenouillat (décors), Agostino Cavalca (costumes), Christophe Forey (lumières), Moshe Leiser & Patrice Caurier (mise en scène).

Depuis une dizaine d’années, les productions d’Hamlet d’Ambroise Thomas se multiplient avec bonheur et cette reprise d’un spectacle créé à Genève en 1996 est accueillie avec enthousiasme par le public du Covent Garden.


Les premières images offertes par les metteurs en scène ne laissent planer aucun doute sur leur identité. On retrouve la “patte” du duo Moshe Leiser-Patrice Caurier dès l’entrée du choeur, entrée qui ressemble furieusement à celle de Lucie de Lammermoor de l’opéra de Lyon. Les choristes arrivent du fond de la scène, les uns à côté des autres, et sont dévoilés peu à peu par la lumière. Tout au long de l’opéra, Leiser et Caurier entretiennent l’idée de la folie et invitent les chanteurs à exprimer une certaine peur, une certaine angoisse dès le début de l’oeuvre. Par un habile jeu de panneaux, ils séparent la scène en deux éléments (le pur et l’impur) et distinguent les différents moments dramatiques. Les personnages se trouvent souvent confrontés à des situations insolubles et les deux metteurs en scène tentent de symboliser concrètement ce malaise en les enfermant dans ces fameux panneaux: le mur se trouve être à la fois matériel et moral. La pantomime est un passage travaillé avec beaucoup de soin puisque les acteurs, sur le devant de la scène, apparaissent également en ombres chinoises, ce qui renforce l’aspect tragique de cette scène. Si l’axe donné à cette mise en scène est la folie, l’aspect féerique n’en est pas absent. L’apparition du fantôme du père d’Hamlet est particulièrement réussie: l’entrée du chanteur, resté en coulisse un moment, est précédé par une lumière blanche symbolisant l’au-delà et Markus Hollop apparaît enfin vêtu d’un drap blanc, mais pas à la manière des fantômes. Il est toutefois à regretter que l’absence de décor laisse parfois les chanteurs perdus sur la scène, qui se retrouvent quelque peu livrés à eux-mêmes. C’est le cas pour Natalie Dessay, au moment de la scène de la folie, qui erre à travers une scène assez vide et qui ne réussit que difficilement à la remplir, si ce n’est par son chant.
La musique, pour une fois, se trouve aidée et non étouffée par la mise en scène, comme c’est très souvent le cas dans les productions récentes. La distribution est d’un luxe inhabituel et metteurs en scène et chanteurs travaillent dans une cohérence parfaite.


Après s’être retiré de la scène pendant quelques semaines pour raisons de santé, Simon Keenlyside est apparu en très grande forme scéniquement et vocalement. Hamlet est un rôle qu’il connaît bien pour l’avoir déjà chanté dans cette même production et déjà avec Natalie Dessay à Genève. Il propose une vision absolument bouleversante de ce personnage, faisant d’Hamlet un fou, certes, mais un fou sachant manier la folie avec art et subtilité. Il joue constamment sur le double registre de la folie assumée et de la folie instinctive notamment dans la scène avec la mère à l’acte III dans laquelle il la torture en contrefaisant le fou. Divers niveaux de lecture se créent alors, au point que le spectateur ne sait plus très bien qui est Hamlet. Le jeu scénique est soutenu par un chant superbe et magnifiquement travaillé, étudié. On retrouve la même couleur de voix dans la scène avec son père “spectre infernal” et dans son air “être ou ne pas être” que dans Iphigénie en Tauride. Sa voix devient immatérielle, diaphane et en un certain sens irréelle. Malheureusement il est régulièrement affublé d’un imperméable - grande mode de cette dernière décennie - ce qui ramène le personnage sur terre.

Gertrude trouve en Yvonne Naef une interprète idéale. L’étendue de son rôle ne connaît aucune faille et ses aigus, pour une mezzo, sont d’une clarté et d’une puissance confondantes. Peut-être moins à l’aise scéniquement que ses partenaires, elle n’en est pas moins une mère attentive et une belle-mère intrigante.
Robert Lloyd se montre souverain dans les deux sens du terme. Sa superbe voix de basse impressionne par le luxe de ses graves mais aussi par l’expressivité qu’elle leur donne. Il ne fait pas de Claudius un roi seulement assoiffé de puissance mais aussi apeuré. Son art dramatique s’illustre particulièrement dans la scène de la pantomime où on le voit se décomposer et répondre par la violence, mais surtout au moment où il se repent au début de l’acte III.
Passons sur la performance de Yann Beuron, annoncé souffrant. Il se limite à marquer son rôle sans forcer ses aigus et on ne peut que souhaiter le revoir en pleine possession de sa voix car les quelques passages où il peut chanter, laissent entrevoir une interprétation fine et élégante de Laërte.
Les rôles secondaires sont parfaitement bien tenus à commencer par Markus Hollop en fantôme. Il s’impose par une voix puissante et réussit à rendre expressif le long discours qu’il tient à son fils, partition assez monotone. A souligner l’apparition brève mais remarquable de Edgaras Montvidas, dans le rôle de Marcellus, qui laisse deviner une voix claire, puissante et riche de musicalité. Ce jeune élève de la Vilar Young Artists Programme est un nom à retenir et qui ne manquera pas de faire ses preuves d’ici peu.

Le public attendait, évidemment, Natalie Dessay et ne s’est pas montré déçu. Quel bonheur de retrouver cette immense artiste et cette impressionnante chanteuse après tant de concerts annulés et d’hésitations de sa part sur la poursuite de sa carrière. Dès son entrée en scène, elle présente une Ophélie perdue, craintive et prépare d’avance la fameuse scène de folie de l’acte IV, qui n’en devient alors que plus crédible. Quand Hamlet la repousse et lui conseille de se retirer dans un cloître, la vie semble quitter son corps et elle se décompose. Elle se transforme alors en poupée mécanique, apeurée et quitte la scène en plusieurs fois, de manière saccadée. Que dire de sa voix si ce n’est que tant de mois de repos ont produit un effet bénéfique? La voix est de plus en plus puissante et le medium s’est étendu, enrichi et arrondi. A noter, également, d’immenses progrès dans la prononciation, point faible de Natalie Dessay. On sent toutefois qu’elle se ménage et qu’elle ne se sent pas encore prête à nous gratifier de toutes les notes dans la quinte suraiguë qu’elle aime à rajouter dans ce type de partitions.

La direction de Louis Langrée est énergique, vive mais il faut attendre le début du troisième acte pour saisir l’étendue de son talent dans le domaine de l’opéra français. Les divers intermèdes musicaux qui jalonnent Hamlet sont dirigés somptueusement mais ce n’est que dans la deuxième partie de la représentation qu’il semble se libérer et qu’il laisse “démarrer” l’expression.


Tous les éléments se trouvaient réunis pour faire de cette reprise un grand événement et une immense soirée. Cela a été le cas quand autant les chanteurs que le chef se sont sentis en confiance. Ces quelques petites remarques ou ces minces réserves n’entachent absolument pas un spectacle d’une qualité extraordinaire autant scéniquement que vocalement.



production reprise au Liceo Barcelone en octobre 2003 avec toujours Natalie Dessay (en alternance avec Mary Dunleavy) mais Béatrice Uria-Monzon en Gertrude et Jean-Luc Chaignaud en Hamlet sous la direction de Bertrand de Billy.


Manon Ardouin

 

 

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