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Remarquable Jenufa Paris Théâtre du Châtelet 05/12/2003 - et 15, 21, 24, 27 mai 2003 Leos Janacek : Jenufa Karita Mattila (Jenufa), Rossalind Plowright (Kostelnicka), Stefan Margita (Laca), Gordon Gietz (Steva), Menai Davies (Buryjovka), Ivan Kusnjer (Starek), René Shirer (le juge), Galina Kuklina (la femme du juge), Pavla Vykopalova (Karolka)
Orchestre de Paris, Sylvain Cambreling (direction)
Stéphane Braunschweig (mise en scène)
Le programme du spectacle présente un témoignage bouleversant : les notations, par Janacek, des dernières paroles de sa fille Olga se mourant de la tuberculose à l'âge de 21 ans (pages 74-75). Ce feuillet, appartenant à la collection du grand musicologue Guy Erismann, dévoile ce que doit à la vie du compositeur la souffrance qui s'exprime dans Jenufa - qu'il termina lors de la maladie qui emporta sa fille - comment elle puise au plus profond de lui, quel est son prix. Cette vérité des émotions passe musicalement de façon très directe (le chef Sylvain Cambreling, dans le programme, parle "d'une orchestration toujours très fortement psychologique"), elle décrit précisément chaque état d'âme. On ne ressort pas indemne de cet opéra qui porte le conflit de la faute et du pardon à un niveau qui frise la folie, Nietzsche, dans Ecce homo, parle de "la folie circulaire qui oscille entre les convulsions de la pénitence et l'hystérie de la rédemption". Mais Jenufa, par son pardon, permettra de sortir de cette spirale, quelle leçon !
Reprenant la production marquante donnée en ces lieux en 1996, le Châtelet a su réunir des interprètes d'exception. La mise en scène de Stéphane Braunschweig n'a pas pris une ride et reste toujours aussi épurée, convaincante, forte. Les rôles des deux femmes, Jenufa et Kostelnicka, sont parmi les plus exigeants du répertoire, et c'est la plupart du temps la sacristine qui bénéficie de la cantatrice la plus prestigieuse (Varnay, Rysanek, Jones, Silja). C'est l'inverse cette fois avec la finlandaise Karita Mattila qui incarne Jenufa tandis que Rosalind Plowright chante sa belle-mère, certes vaillamment mais incapable de faire oublier Anja Silja ici même en 1996. Conséquence 'architectonique', le centre de gravité de l'opéra se déplace du deuxième au troisième acte et, psychologique, le personnage de Jenufa gagne en épaisseur. Le timbre dense et l'ampleur vocale de Mattila en font une Jenufa exceptionnelle, historique. Stefan Margita (Laca) emporte également tous les suffrages par la solidité et l'aisance de sa voix. Mention spéciale également à Gordon Gietz (Steva) et aux seconds rôles, tchèques pour la plupart, avec une attention particulière à la belle soprano Pavla Vykopalova.
Sylvain Cambreling et l'Orchestre de Paris jouent au même niveau que Simon Rattle et le Philharmonia Orchestra présents en 1996. Les lignes musicales enchevêtrées sont parfaitement dessinées, l'armature rythmique est rendue naturellement, les performances solistes sont impeccables. On ne souhaiterait que trop entendre plus souvent Cambreling à Paris ! Une soirée exceptionnelle qui restera dans les mémoires de tous ceux qui l'auront vu.
Diffusion sur France Musiques le 31 mai à 19h30
Philippe Herlin
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