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L’orchestre et le piano: extension ou complémentarité?

Paris
Maison de Radio France
05/10/2003 -  

Frédéric Chopin/Igor Stravinski : Nocturne en la bémol opus 32 n° 2
Robert Schumann : Fantaisie pour piano et orchestre (création française) – Introduction et Allegro appassionato pour piano et orchestre, opus 92
Ludwig van Beethoven/Felix Weingartner : Sonate pour piano n° 29, opus 106 «Hammerklavier» (création française)


Laurent Cabasso (piano)
Orchestre philharmonique de Radio France, Jun Märkl (direction)

Dans le cadre du week-end «Figures singulières» de Radio France (voir ici) et à nouveau à guichets fermés, l’Orchestre philharmonique de Radio France proposait un programme autour de la relation entre le piano et l’orchestre offrant, au passage, deux créations françaises.


Premier volet, le dialogue entre le piano et l’orchestre, à la lumière de la conception qu’avait Schumann du genre concertant. Prenant le contre-pied de la plupart de ses contemporains, il entendait en effet rééquilibrer les rôles au profit de l’orchestre, trop souvent réduit à observer les démonstrations de virtuosité du soliste. Outre cette ambition affichée de rénovation du langage, sa production dans ce domaine, soit seulement trois œuvres (dont l’ultime et rare Introduction et Allegro de concert de 1853, dédié à Brahms, qu’il aurait été opportun de programmer à cette occasion), démontre également une réflexion sur la forme, puisqu’aucune d’entre elles ne se rattache pleinement au schéma traditionnel du concerto en trois mouvements.


Après avoir prêté main forte à l’orchestration d’une partie du Concerto en la mineur (1835) de celle qui n'était pas encore son épouse, Clara, il compose en deux semaines (mai 1841) une Fantaisie, également en la mineur, créée par Clara sous la direction de Ferdinand David. Si le dialogue et la complémentarité avec l’orchestre sont d’ores et déjà très poussés, la forme demeure relativement classique, celle d’un allegro à deux thèmes (avec un premier thème certes prédominant), se concluant par une cadence et une coda plus vive. Il suffira donc à Schumann, quatre ans plus tard, de la réviser très légèrement et d’y adjoindre deux nouveaux mouvements enchaînés (par une transition qui cite d’ailleurs son premier thème) pour faire de l’ensemble, sans aucune rupture apparente de ton, son célèbre Concerto pour piano.


Avec délicatesse et sans débordements, Laurent Cabasso donne, cent soixante-deux ans plus tard, la première française de cette Fantaisie qui, en réalité, est donc bien connue. Car force est de constater qu’il est malaisé, à quelques exceptions près et à moins de disposer de la partition de la version définitive sous les yeux (ou de l’avoir bien en tête), de repérer les modifications apportées par le compositeur, tant l’essentiel, à commencer par l’intégralité du déroulement de la trame, figurait déjà dans la version originale. Le travail effectué par Schumann n’a donc rien à voir avec celui accompli sur une autre œuvre datée de 1841, la Quatrième symphonie, dont la seconde mouture, de dix ans postérieure, diffère beaucoup plus sensiblement de la version originale.


En septembre 1849, Schumann écrit en neuf jours un Konzertstück (Introduction et Allegro appassionato), qui sera également créé par Clara. Le titre et la démarche formelle, voire parfois le langage, évoquent de glorieux aînés (Weber et son Konzertstück, Mendelssohn et ses deux concertos), mais la recherche d’une osmose entre le piano et l’orchestre est remarquablement originale et aboutie, annonçant Brahms (particulièrement son Second concerto) ou Franck (Les Djinns, Variations symphoniques). Cette moindre valorisation du soliste, bien que sa partie présente les redoutables difficultés propres à l’écriture schumanienne, explique sans doute la relative éclipse dont pâtit ce Konzertstück d’un plan tonal original et dont les deux mouvements se jouent sans interruption, le second citant d’ailleurs largement le thème poétique du premier.


Second volet de ce concert, l’orchestre comme extension du piano, à la lumière de deux orchestrations d’ambitions bien différentes. Formées d’un pot-pourri de pièces pour piano de Chopin instrumentées par différents compositeurs russes pour un ballet de Fokine, Les Sylphides (1909) renferment notamment la Valse brillante en mi bémol (opus 18) et le Nocturne en la bémol (opus 32 n° 2) orchestrés par Stravinski. Seul le second est donné au cours de ce concert: de façon fort discrète et efficace, mais non sans raffinement, le jeune compositeur s’acquitte consciencieusement de sa première collaboration avec les Ballets russes, valorisant la délicatesse des timbres (bois, célesta, harpe et... grosse caisse, remplaçant élégamment les timbales).


Si, avec Chopin, le défi de l’orchestration d’un compositeur si intimement lié au piano était peut-être facilité par le tempo et l’écriture du Nocturne en question, la problématique était d’une toute autre nature pour Felix Weingartner s’attaquant en 1926 au monument de la littérature (pianistique) qu’est la Vingt-neuvième sonate («Hammerklavier») de Beethoven. Chacun s’accorde à parler, à propos de cette sonate (comme de la Sonate en si mineur de Liszt), de «dimension symphonique». Mais cela signifie-t-il nécessairement que cette sonate appelle l’orchestre et que, partant, la pensée de Beethoven déborde le cadre de son instrument (pourtant nommément désigné dans son sous-titre)? Telle était l’opinion de Weingartner, lui-même compositeur et qui, en tant que chef d’orchestre, fut le premier d’une lignée prometteuse (Toscanini, le premier Karajan, Szell, …) à promouvoir une conception «moderne» de l’interprétation des symphonies de Beethoven, débarrassées des excès de subjectivité qu’une tradition «romantique» leur avait fait subir.


Notre époque est sans doute plus encline à parler de trahison, mais Weingartner se réclamait d’une fidélité constructive: pour lui, le meilleur service à rendre à la Sonate «Hammerklavier» était de respecter scrupuleusement le texte original tout en extrapolant par ailleurs les voix que Beethoven aurait écrites s’il avait disposé d’autres portées et, surtout, la couleur orchestrale qu’il aurait donnée à son œuvre. Et ce projet lui tenait suffisamment à cœur pour qu’il en effectue, dès mars 1930, un enregistrement avec le Royal philharmonic orchestra.


L’effectif retenu est celui de la Cinquième symphonie (bois par deux avec piccolo et contrebasson, deux cors, deux trompettes, trois trombones et timbales), augmenté de deux cors supplémentaires. Quoiqu’employé avec une certaine parcimonie et bien que mis en mouvement avec énergie et précision par le chef allemand Jun Märkl, il se révèle à la fois trop lourd et trop épais pour restituer la versatilité de l’écriture ainsi que la vélocité et les attaques du clavier. Dès lors, si l’orchestration éclaire certains détails d’un jour nouveau, l’ensemble perd, en revanche, en transparence et en netteté (les trilles de la fugue finale, par exemple, ne sont pas toujours perceptibles). L’esthétique orchestrale, non dépourvue ici ou là d’effets surprenants ou même triviaux, paraît en outre bien plus proche de Brahms et de Bruckner, voire parfois de Schönberg (dans ses arrangements de Brahms, Monn ou Haendel), que de Beethoven. Toutefois, l’Adagio sostenuto, sans doute pour des raisons de tempo et de climat, supporte beaucoup mieux ce traitement et évoque même le mouvement lent de la Neuvième symphonie.


Comme quoi, sans même parler du combat titanesque (et éminemment beethovénien) du pianiste face à la partition, la «dimension symphonique» d’une telle œuvre ne tient en rien à l’orchestre...


Ce concert sera diffusé sur France Musiques le jeudi 15 mai à 20 heures.



Simon Corley

 

 

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