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Trois pianistes, trois approches de Schubert

Paris
Cité de la musique
04/06/2003 -  

Franz Schubert : Sonates pour piano D. 557, 625, 959 et 960 - Impromptus, D. 935 - Klavierstücke, D. 946


Nicholas Angelich [Sonate D. 625, Impromptus], Giovanni Bellucci [Sonate D. 959], Alain Planès [Sonates D. 557 et 960, Klavierstücke] (piano)


Après une intégrale Beethoven en mars 2001 (voir ici) et un festival de transcriptions en décembre dernier (voir ici), la Cité de la musique proposait un nouveau marathon pianistique, cette fois-ci autour de la musique de Schubert: avec trois pianistes, quatre jours (de jeudi à dimanche), six concerts (trois récitals et trois concerts partagés deux à deux), quatre recueils (dix-sept pièces), la Wanderer-Fantasie et les quatorze dernières sonates, on pouvait donc légitimement réserver le répertoire pour quatre mains à une prochaine série…


Quelques jours après l’intégrale de Georges Pludermacher en concert (et au disque), Schubert, décidément, a le vent en poupe. Et ce n’est que justice, car si sa production, sujette à de nombreux remords ou hésitations dont témoignent nombre de fragments ou d’œuvres inachevées, a pu être occultée par le massif beethovenien - dont certains sommets auront eux-mêmes été longs à s’imposer - elle n’a rien à envier aux ultimes créations du maître de Bonn. Formidable unité de lieu (Vienne) et de temps (les années 1820), qui devait inspirer des décennies d’aventures pianistiques.


A l’intérieur de ce parcours schubertien, les aperçus qu’il offre sur l’évolution du style - même si l’étendue couverte par ce cycle de concerts dépasse tout juste dix ans (1817-1828) -sont riches d’enseignements et de découvertes, ne seraient-ce que les deux derniers concerts donnés le dimanche après-midi. La Sonate en la bémol (D. 557), servie par l’impeccable styliste qu’est Alain Planès, dénote une forte influence de Haydn, de Mozart et du premier Beethoven, quoique les développements révèlent déjà une personnalité indéniablement originale. Postérieure de dix-huit mois seulement, la Sonate en fa mineur (D. 625) traduit une maturation stupéfiante du langage; on y entend certes Beethoven - le Onzième quatuor (Serioso) dans l’Allegro initial, la Vingt-troisième sonate (Appassionata) dans l’Allegro final (ou bien est-ce la tonalité de fa mineur propre à ces trois partitions qui suggère de tels rapprochements?) - mais aussi Chopin ou Schumann. Et, surtout, la voix de Schubert s’y fait impérieuse: modulations, trilles dans le grave, déroulement non conventionnel du discours. Toujours est-il que Nicholas Angelich confère un poids impressionnant à cette partition dépourvue de mouvement lent, omettant l’Adagio D. 505 qui en tient parfois lieu.


Dans les grandes partitions nées au cours des derniers mois (1827-1828) de la courte existence de Schubert, les trois pianistes vont également apporter leur lot de révélations, mais chacun à sa manière. Les Impromptus (D. 935) trouvent en Angelich un interprète fascinant non seulement d’intelligence et de technique, mais aussi d’engagement, de densité, de tension, de contrastes, d’angoisse, de violence et de noirceur, bien loin de l’image (d’Epinal) d’un compositeur agréable improvisateur pour ses amis. Cette manière de questionner un texte si célèbre et de lui conférer une force aussi prenante permet de comprendre pourquoi Schumann était tenté de voir dans cet ensemble de quatre pièces au plan tonal soigneusement défini une sonate déguisée.


Changement total de conception et de jeu avec Giovanni Bellucci, qui livre une Sonate en la majeur (D. 959) à la fois plus extérieure, plus fantasque et plus heurtée, balayée de grands gestes théâtraux (attaque de l’Allegro, récitatif de l’Andantino). L’accent mis sur la dimension virtuose, avec une facilité (apparemment) déconcertante, trouve un prolongement dans le bis proposé par le pianiste italien, une Deuxième rhapsodie hongroise de Liszt aux confins de la bravoure et de l’exhibitionnisme.


C’est à Planès qu’échoient les ultimes Klavierstücke (D. 946) et l’ultime Sonate en si bémol (D. 960). Equilibre et maîtrise, élégance et distinction caractérisent ses interprétations, sans que les aspérités ni l’expression n’en soient pour autant gommées. Des trois artistes de ce « week-end », c’est lui qui respecte sans doute le plus le texte, qu’il met en valeur avec finesse et clarté, sans en négliger ni les ruptures, ni la poésie.



Simon Corley

 

 

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