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Jenufa ou l’émouvante violence

Tours
Grand Théâtre
02/11/2003 -  
Leos Janacek : Jenufa

Sophie Fournier (Jenufa), Hélène Perraguin (Grand-mère Buryjá), Anne-Marguerite Werster (Kostelnicka Buryjá), Georges Gautier (Laca Klemen), Franck Cassard (Steva Buryjá), Sophie Rehbinder (Richtarka)

Orchestre Symphonique Région Centre -Tours, Chœurs de l’Opéra de Tours - Lyric Chorus, Bruno Ferrandis (direction)

Gilles Bouillon (mise en scène), Bernard Pico (dramaturgie), Nathalie Holt (scénographie), Marc Anselmi (costumes), Michel Theuil (lumières), Yvan Petit (vidéastre), Sophie Mayer (travail chorégraphique), Aurore Marchand (chef de chœur), Thierry Delacour (chef de chant)





L’orchestre Symphonique Région Centre, les Chœurs de l’Opéra de Tours puis l’équipe technique et artistique du Centre Dramatique Régional de cette ville présentent leur nouvelle co-production Opéra de Tours / Conseil Général d’Indre-et-Loire : Jenufa de Leos Janacek. Cette production, réalisée entièrement dans les ateliers du Grand Théâtre de Tours, est une réussite parce que le texte littéraire et musical, la dramaturgie, la mise en scène, le travail chorégraphique, la scénographie, les costumes et les lumières ont toutes les qualités possibles, parce que le plateau féminin est d’une rare présence et que les chœurs, augmentés pour l’œuvre, sont irréprochables. On aime à voir représenter ces drames qui mettent en scène si efficacement la violence, cette violence toute particulière, héritée des drames bourgeois. Jenufa est d’un réalisme quasi sociologique, les malheurs de ses personnages prennent possession de la scène, du dialogue, avec âpreté, loin des impressionnants dilemmes, aux accents tragiques, des grands personnages de certains opéras. Ici les questions sont simples : comment éviter le déshonneur, semblable à la mort dans un petit village rural ? Comment être aimé par une femme qui doit en épouser un autre ? Alors, pour garder l’illusion d’un honneur sauf, on en arrive à l’infanticide, pour être aimé de celle qu’on adore, poussé par la jalousie, on en arrive à la défigurer. Tristes actions pour les uns, insouciance populaire pour les autres, ces villageois, le chœur. Les uns pleurent et crient, les autres dansent et rient. La musique de Janacek se partage entre les angoisses et discussions des personnages principaux et les actions et réactions des habitants du village, entre l’intensité des premiers et l’exultation des seconds. La mise en scène de Gilles Bouillon traite merveilleusement bien ces délicats rapports entre le drame des personnages centraux et les commentaires collectifs. Les passages de musique folklorique, de chants populaires contrastent vivement, dans la mise en scène, avec les instants de lutte et d’intimité des individus isolés de la foule. Ainsi la violence et les traits des personnages ressortent habilement, ainsi chaque geste et chaque regard deviennent d’une importance extrême. C’est alors que les chanteurs se doivent aussi, non seulement de suivre sans faux pas les très précises indications scéniques, de s’imprégner de la sombre ambiance du remarquable décor mais encore de mettre en avant le texte tchèque, les phrasés du compositeur et enfin, leur voix. Or, les voix du plateau tourangeau se sont pas toutes très bien choisies ou du moins, certaines supportent mal cette exposition qu’on leur impose à raison. Pour être simple dans un drame, il faut dire sans ambages, articuler sans outrance, avoir cette technique qui permet presque de faire oublier que l’on chante. Sophie Fournier, la belle Jenufa, y parvient à merveille, sa voix ne trébuche jamais, peu importe le parcours des intervalles, les changements de registres. Anne-Marguerite Werster, qu’on avait admiré en Fausta dans Roma de Massenet il y a quelques temps et qui incarne ici Kostelnicka, la belle-mère de Jenufa, force également l’admiration (elle semble chanter un tchèque impeccable…), la grand-mère Buryjà, bien que rôle secondaire, occupe une place de choix s’il s’agit de parler des mérites de chacun et Sophie Haudebourg est remarquable de vitalité, dans le petit rôle de Jano. En revanche, que dire de Franck Cassard, curieusement choisi pour le rôle de Steva ? En effet, il manque cruellement de voix, ses colères en sont presque ridicules. Certes, son personnage est lâche : il est possible qu’un chanteur partiellement effacé puisse faire l’affaire mais une telle insuffisance de puissance, en tout cas pour ce rôle, déséquilibre malheureusement le plateau. Comble de malchance pour Franck Cassard, l’orchestre, en fosse, mené par Bruno Ferrandis n’est d’aucun secours, considérablement entreprenant, ignorant totalement la nuance piano. Si l’on peut reprocher à Franck Cassard une faible présence vocale, on ne peut que le féliciter pour sa prestation de comédien. Il réalise les postures les plus admirables du plateau, est d’une très grande mobilité, joue impeccablement son personnage, bien mieux que Georges Gautier, qui passe pour un jaloux un peu trop débonnaire. Le Laca de Georges Gautier n’a pas non plus une voix très slave et ses graves arrivent même à être, à certains moments, quasi-parlés. Là encore, il semble que le chanteur n’ait pas un timbre de voix compatible avec ce rôle.



L’orchestre a une particularité due au caractère exigu de la fosse de ce théâtre à l’italienne puisqu’il est quelque peu dispersé, ce qui n’est pas très heureux, pour ce genre d’orchestration. Dans la loge du premier balcon, au dessus de la fosse, la harpe se retrouve isolée, inutilement rendue soliste pour certaines fins de phrases et en dessous quelques bois ont du mal à se fondre avec les instrumentistes de fosse. Ainsi, la balance s’en trouve compliquée. Par ailleurs, les violons sont un peu trop agressifs et les parties supérieures en général, prennent toujours le dessus même quand elles ne sont là que pour finir une phrase, cela au détriment de l’assise mélodique et rythmique des basses. Bruno Ferrandis a globalement tendance à trop solliciter l’orchestre à force de gestes amples pas assez précis pour bien définir les accentuations rythmiques du texte de Janacek, qui deviennent assez molles. Le jeu s’étale donc un peu (surtout dans le premier acte) et perd de sa force dramatique.



Huit mois de travail ont suffi à Nathalie Holt, côté scénographie, pour figurer l’attachante pauvreté rurale dans laquelle évoluent les personnages. Les ambiances sont diverses devant ces grands panneaux peints de marron ou de gris avec dégradés artistement répartis, devant ces fenêtres aux vitres embuées et usées par la neige, autour de la petite table en bois meublant la pièce commune ou devant le frugal banquet dressé pour les noces de l’héroïne. Les éléments du décor accentuent intelligemment en particulier la présence de l’enfant, présence silencieuse évoquée par une porte qu’on laisse entrouverte et que les personnages outrepassent pour visiter l’enfant. Les lumières de Michel Theuil rendent passionnantes, par exemple, la pantomime de Jenufa, à sa fenêtre, la nuit ou la belle scène de la peur de la sacristine infanticide. Les costumes de Marc Anselmi font écho, de par leur simplicité et leur inspiration, à la scénographie. Enfin, les chœurs (quarante chanteurs), nombreux, préparés par Aurore Marchand, sont excellents. Là, les voix des hommes sonnent slave. Les parties chorégraphiées par Sophie Mayer sont également magnifiques, que ce soit les scènes dansées de liesse populaire ou les danses pour féliciter Jenufa (pleines d’humour). Ces chorégraphies sont d’une importance capitale pour le drame, elles sont collectives, joyeuses et agréables, d’une innocence presque coupable et montrent le poids, parfois criminel, des foules (Qui pousse à l’infanticide sinon ces regards-là ?), elles sont non seulement la représentation de cadres traditionnels mais aussi celle des figures imposées de la tyrannie sociale que Jenufa subit, brutalement.





Pauline Guilmot

 

 

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