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Seul le son de Saint-Petersbourg

Paris
Théâtre du Châtelet
01/22/2003 -  Démon : 27*, 29 janvier, 1, 3 février ; Onéguine : 24, 28*, 30 janvier, 2, 4 février
Anton Rubinstein : Le Démon
Piotr Ilitch Tchaïkovski : Eugène Onéguine

Démon : Evegeni Nikitin (Démon), Marina Mescheriakova (Tamara), Natalia Evstafieva (Ange), Olga Markova-Mikhaïlenko (Nourrice), Ilya Levinsky (Sinodal),Guennady Bezzoubenkov (Goudal) Nikolaï Okhotnikov (Serviteur), Alexandre Timchenko (Messager)
Lev Dodin (mise en scène), David Borovsky (décors), Chloé Obolensky (costumes), Jean Kalman (lumières)
Onéguine : Vladimir Moroz (Onéguine), Irina Mataeva / Tatiana Pavlovskaya (Tatiana), Ekaterina Sementchouk (Olga), Svetlana Volkova (Larina), Olga Markova Mikhaïlenko (Filipievna), Daniil Shtoda / Evgeni Akimov (Lenski), Mikhaïl Kit (Grémine), Jean-Paul Fouchécourt (Triquet), Mikhaïl Petrenko (Capitaine / Zaretski)
Patrice Caurier et Moshe Leiser (mise en scène), Christian Fenouillat (décors), Agostino Cavalca (costumes), Christophe Forey (lumières)
Orchestre et Choeurs du Théâtre Mariinski de Saint-Petersbourg, Valery Gergiev (direction)

Evénement le plus attendu de la Saison Russe du Châtelet, les coproductions réalisées avec le Mariinsky laissent des sentiments pour le moins mitigés. L’institution petersbourgeoise est décidément bien puissante pour imposer ainsi sa marque, ses contraintes et son esthétique à des metteurs en scène qui ne manquent pas de personnalité. Pour avoir vu au Mariinski même l’Onéguine de Caurier et Leiser, on savait que ce spectacle figure parmi leurs plus faibles, décors hideux, vision des plus conventionnelles, sauvée par une vraie finesse de la direction d’acteurs - quand ces derniers daignent s’en préoccuper. Mais qu’un créateur de la trempe de Lev Dodin, lui même une grande figure de la deuxième ville russe, relecteur hardi, sulfureux et pertinent (se souvenir de cette Dame de Pique qui fit fureur, dans tous les sens du terme, à la Bastille) se laisse à ce point paralyser dans ce Démon de tristes tréteaux, tour à tour platement illustratif et d’un statisme boudeur ! L’œuvre d’Anton Rubinstein, à peu près inconnue en France, constituait aussi l’une des curiosités majeures de cette visite. Elle offre la richesse de son inspiration mélodique (guère inférieure aux plus belles pages de Tchaïkovski), ses climats orchestraux prenants et denses. Mais pâtit du classicisme de ses harmonies, confinant à la fadeur, d’un excès de retenue dans le contrepoint et les circulations polyphoniques qui devraient permettre à chaque pupitre d’enrichir les thèmes. Nous voilà donc, sans prévention initiale, à reprendre les préjugés habituels à l’encontre de Rubinstein ! Faisons tout de même la part d'un livret verbeux, lent et psychologiquement insipide, à mille lieues du bouillonnement lyrique du poème original de Lermontov.
Cette résurrection affichait une équipe solide, sinon raffinée. Nikitin dans le rôle-titre possède un matériau intéressant, mais manque de sûreté dans l'aigu, de cantabile surtout, et le personnage le laisse de marbre. Passée la panique de ses brèves cocotes d'entrée, Mescheriakova étourdit par une projection sans complexes ; mêmes réserves que pour son partenaire. Dans des parties moins exigeantes, on goûte davantage le beau timbre et la musicalité de la mezzo Natalia Evstafieva et du ténor Ilya Levinsky ; comme toujours avec le Mariinski, les seconds rôles sont parfaits de vérité vocale et dramatique. Ceux d'Onéguine également, rejoints pour l'occasion par un Jean-Paul Fouchécourt qui n'a que Cuénod et Sénéchal pour rivaux dans Triquet. Kit reste en Grémine cette fière incarnation du bonheur trouvé in extremis. Le quatuor des jeunes gens, issu de l'Académie de formation du Mariinski, devrait briller par sa parfaite crédibilité les soirs où chantera Irina Mataeva, beauté à la Gene Tierney, actrice et musicienne frémissante malgré une voix plutôt légère - à Petersbourg du moins, un rare frisson passait. Le 28, Tatiana avait, hélas, la voix assez idoine (pour la tessiture) mais le timbre banal et l'indifférence dramatique calamiteuse de son homonyme Pavlovskaya, fusillant et la lettre, et tous les ensembles dont elle est le point de mire ; quelques beaux détail de phrasé dans la scène finale raniment l'intérêt, mais il est tard, beaucoup trop tard. Du coup, la bonne nature d'Ekaterina Sementchouk ne sert de repoussoir à nulle fièvre. Difficile d'imaginer physique plus parfait que celui de Vladimir Moroz, grand adolescent qu'on croirait dessiné par Pouchkine lui-même ; mais le comédien est pâle, et le chanteur doit mûrir encore - les progrès depuis la première petersbourgeoise sont pourtant notables, et le dernier acte fait autant valoir la beauté du timbre que l'intégrité du phrasé. Joli couple d'amis juvéniles avec le Lenski de Shtoda, mais le costume et l'angle de cette production lui conviennent moins bien que ceux d'Irina Brook à Aix. S'il parvient à résoudre ses problèmes de volume et de projection, et trouve par là une marge de manœuvre qui lui manque encore dans la dynamique, alors la plénitude du timbre, le net dessin des lignes et l'exceptionnelle saveur de la diction feront merveille.
Ni dans l'un, ni dans l'autre ouvrage, la direction de Valery Gergiev n'allume chez les chanteurs le feu qu'ils ne trouvent pas dans les mises en scènes. Il semble même difficile d'avoir de ces deux partitions une approche aussi peu éloquente musicalement - sans même parler de théâtre. Dans Onéguine, un parti pris de lenteur nostalgique, presque funèbre, pourrait séduire lors des scènes d'exposition - mais l'ennui s'installe bien vite. Au moins Gergiev sait il faire sonner le merveilleux orchestre qui lui doit beaucoup quant à la préservation de ses standards. Non que l'intonation soit toujours parfaite - un accident n'est jamais exclu dans les vents - ou la balance idéale. Mais la richesse saturée des couleurs sombres, la chair palpitante des attaques, les phrasés sidérants de consistance et d'envol (incroyable éventail du quatuor, parfaitement lisible et pourtant remplissant l'espace) ouvrent chaque accord sur un monde dont on ne semble avoir idée ni sur la scène, ni au podium. Saisissant contraste avec les ensembles de fosse parisiens - guettons par conséquent une prochaine visite qu'on espère pour tout le reste plus flamboyante.



Vincent Agrech

 

 

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