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Une affaire de famille Paris Théâtre des Champs-Elysées 11/20/2002 - et 21 novembre 2002
Mikhaïl Glinka : Ruslan et Ludmilla (ouverture) Johannes Brahms : Double concerto, op. 102 Ludwig van Beethoven : Symphonie n° 5, op. 67
Renaud Capuçon (violon), Gautier Capuçon (violoncelle) Orchestre de Paris, Christoph Eschenbach (direction)
Les musiciens semblent légèrement plus nombreux que l’effectif requis pour l’ouverture de Ruslan et Ludmilla de Glinka et... ce sont les traits non moins volubiles du prélude de Carmen de Bizet qui retentissent, comme une semaine plus tôt sous la direction de Michel Plasson, au Théâtre des Champs-Elysées.
Au Théâtre des Champs-Elysées. C’est d’ailleurs tout le problème. L’Orchestre de Paris erre à la recherche d’un toit, comme - une fois ce prélude (abrégé) achevé - viendront l’expliquer au public un musicien puis Christoph Eschenbach lui-même. Exit Pleyel en travaux pour quelques années, exit Mogador, où l’orchestre a pourtant porté ses pénates à la satisfaction générale depuis la rentrée, car outre le fait que ce théâtre est retenu, jusqu’à la fin de l’année, par une comédie musicale, ce nouvel hébergement prendra fin, en tout état de cause, en 2005.
Volontairement alarmiste, après l’annulation des deux concerts qui devaient être donnés au début du mois à la Cité de la musique, le programme - qui comprend une pétition à adresser au Président de la République - précise que l’absence d’une grande salle de concerts propre à l’Orchestre de Paris « va entraîner, à court terme, une dégradation évidente des conditions de travail, de la psychologie collective et de l’expression artistique de l’orchestre ainsi que, sans doute, le départ de son directeur musical, Christoph Eschenbach ».
L’union des musiciens, du directeur musical et de l’administration pour revendiquer auprès de la double tutelle - Etat et ville de Paris - la construction d’un auditorium est telle que le message, indéniablement bien reçu par le public, en est considérablement renforcé. Nul doute que Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, présente dans la salle, saura le relayer auprès des intéressés.
Après cet intermède, l’ouverture de Ruslan et Ludmilla prend son envol, entrée en matière aussi merveilleuse... et redoutable que l’ouverture de La Fiancée vendue de Smetana. Comme ragaillardis par les encouragements répétés de l’assistance, Eschenbach et ses musiciens privilégient la puissance et la vigueur par rapport à l’humour ou la grâce.
A l’origine, Gil Shaham devait jouer le Concerto de Korngold et Tzigane de Ravel, mais - changement prévu et annoncé de longue date - ce sont finalement les frères Capuçon - Renaud au violon, Gautier au violoncelle, quarante-sept ans à eux deux - qui viennent interpréter le Double concerto de Brahms. Rien de plus idéal, a priori, que cette alliance familiale pour restituer une partition dans la quelle l’écriture pour les deux instruments solistes semble ainsi faite que, bien loin de les opposer, elle tend à les fusionner en un soliste à la fois unique et immense, dont l’addition des caractéristiques de l’un et de l’autre viendrait enrichir la tessiture et le timbre.
Arborant des mines tour à tour farouches et pâmées de jeunes premiers romantiques, les deux jeunes Français soulignent en tant que de besoin la parenté de cette œuvre relativement tardive dans le catalogue brahmsien avec le tempérament nordique, fougueux, spectaculaire et virtuose des premières années du maître hambourgeois. Eschenbach n’est pas en reste, menant un orchestre dense et velléitaire, notamment dans les mouvements extrêmes. De ce fait, le contraste avec le caractère intimiste de l’andante central s’en trouve accentué.
Pour changer, on entendra en bis non pas, comme d’habitude, un morceau de la Sonate de Ravel, mais une oeuvre presque exactement contemporaine, le Duo (1925) d’Ervin Schulhoff, dont on pourrait définir l’extrait offert par les frères Capuçon comme L’Histoire du soldat de Stravinski revue par Paganini.
La seconde partie est attendue avec une certaine appréhension : en effet, après Furtwängler et Toscanini, Karajan et Szell, Harnoncourt et Herreweghe, que peut-on encore faire dire à la Cinquième symphonie de Beethoven ? Si l’Orchestre national de France sort tout juste d’une intégrale sous la direction de Kurt Masur, tandis que l’Orchestre philharmonique de Radio France vient précisément d’enregistrer cette symphonie sous la direction de Myung-Whun Chung pour Deutsche Grammophon (voir ici), ce n’en est pas moins l’Orchestre de Paris qui porte le flambeau de la tradition beethovenienne en France, puisqu’il a pris la succession, en 1967, de la Société des concerts du Conservatoire, qui avait - en son temps, qui était alors celui de Berlioz - créé ces symphonies à Paris sous la direction de Habeneck puis - plus d’un siècle plus tard - enregistré le cycle avec Carl Schuricht.
Commençant par un effet dramatique simple, mais efficace - le raccourcissement de la durée des points d’orgue qui parsèment le début de l’allegro con brio initial - Eschenbach relève sans peine le défi. Après la tension étouffante de ce premier mouvement, marqué en même temps par une certaine distance, l’andante con moto pourra être considéré comme le sommet de cette soirée: remarquable sens de la respiration, soin apporté aux phrasés, transparence des textures servie par la parfaite acoustique du Théâtre des Champs-Elysées, le concert sait parfois réserver l’un de ces moments rares, où tout paraît aller de soi. Eclatant à souhait, mais toujours tenu, l’allegro final conclut une prestation de haute qualité, servie par un orchestre au meilleur de sa forme, où le renouvellement de l’approche se conjugue à tout moment avec une implacable rigueur. Inutile de dire qu’une telle conception se rattache davantage à Szell qu’à Furtwängler...
Simon Corley
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