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Boris grand bourgeois Paris Opéra National de Paris Bastille 10/18/2002 - 21, 23, 27, 29 octobre, 1, 5, 7, 10 novembre Modeste Moussorgski : Boris Godounov Julian Konstantinov (Boris), Olga Borodina (Marina), Irina Bogatcheva (Nourrice), Irina Tchistiakova (Aubergiste), Ekaterina Morosova (Xenia), Anke Vondung (Fiodor), Robert Brubaker (Dimitri), Vladimir Matorine (Pimene), Konstantine Ploujnikov (Chouiski), Vsevolod Grivnov (Innocent), Valeri Alexeev (Rangoni), Vladimir Ognovenko (Varlaam),Alexandre Podbolotov (Missail), Sergei Murzaev (Chtchelkalov), Igor Matioukhine (Nikitch), Yuri Kissin (Mitioukh) Francesca Zambello (mise en scène), Wolfgang Gussmann (décors et costumes), Franck Evin (lumières), Denni Sayers (chorégraphie) Orchestre et Choeurs de l'Opéra National de Paris, James Conlon (direction) Si Khovantchina affrontait l'an passé une distribution idéale à un spectacle miteux et une fosse amorphe, atouts et faiblesses se répartissent un peu mieux dans ce nouveau Boris. D'abord parce que le plateau, réunissant pourtant les grands noms du Mariinsky et du Bolchoï, s'avère, à quelques exceptions près, plus professionnel que mémorable. Solides mais sans mystères, étrangement bonhommes (et privé d'aigus pour le premier, carrément escamotés dans la scène de folie), Konstantinov en Boris et Matorine en Pimène ne nous font jamais toucher du doigt la fièvre qui anime leurs personnages. Brubaker, au contraire, est un Dimitri intense et viril, articulant de surcroît un russe parfait, mais son manque de cantabile s'avère plus gênant ici que chez Zemlinsky ou Prokofiev, ou même que dans Vassili. Avec l'Innocent de Grivnov, ce défaut devient franchement rédhibitoire. On admire Bogatcheva et Ploujnikov, toujours parfaits dans ces emplois,ainsi que nombre des seconds rôles, mais le miracle, attendu il est vrai, viendra de Sandomir : la sublime Marina d'Olga Borodina, voix immense et timbre de crème onctueuse, le grave parfaitement intégré ne le cédant en rien à l'aigu lumineux de cette émission naturellement haute, la plénitude des moyens ne laissant jamais oublier la musique - une scansion rythmique à l'irrésistible envol. Pour lui trouver une rivale, il faut enjamber la génération des Arkhipova et consorts pour revenir aux vieilles cires des années trente et quarante, à Oboukhova, Maksakova ou Preobrajenskaya. Bravo ! Sans renouveler l'exploit de son formidable Billy Budd, Francesca Zambello signe ici l'un de ses spectacles les plus réussis à la Bastille. En dépit de chutes de tension coupables (le parvis de Basile le Bienheureux, où à un moment crucial de l'histoire, il ne se passe rien), il y a là une vraie virtuosité dans la grandiloquence - on n'a pas non plus lésiné sur les moyens avec les décors à l'épate de Wolfgang Gussmann, dont les excellents éclairages de Franck Evin gomment souvent le kitsch. Reste Conlon, dont on sait l'adoration pour Moussorgski en général et Boris en particulier. Les premières mesures du prélude installent un climat étrange et inhabituel, tout en lumières blêmes, en phrasés d'un détachement hypnotique dont le pouvoir de séduction se fera parfois sentir en cours de soirée. Mais dès les grands coups d'archets des violoncelles et contrebasses, dénués de tout mordant et de tout relief, il est clair que l'élan de la pulsation, le chant éperdu sous les mots feront une nouvelle fois défaut, les continuels décalages entre l'orchestre et le chœur (malgré l'excellence de ce dernier), les paniques occasionnelles au sein des pupitres n'arrangeant rien. S'ébrouant quelques instants dans l'acte polonais, qui assure en l'occurrence on ne peut mieux sa fonction de divertimento, la narration n'aura guère tardé à préparer un siège à l'ennui, nous forçant à faire le compte objectif des qualités et des défauts de la soirée, là où l'on souhaitait tant se laisser emporter par la subjectivité de l'épopée…
Vincent Agrech
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