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Avant / après l’entracte

Baden-Baden
Festspielhaus
11/30/2025 -  14 (Adelaide), 30 (Sydney) mars, 13 (Québec), 24 (Boston), 29 (Houston) octobre, 22 (Leipzig), 28 (Wien) novembre 2025
Franz Schubert : Sonate pour piano en sol majeur, D. 894 – Schwanengesang, D. 957
Matthias Goerne (baryton), Daniil Trifonov (piano)


D. Trifonov, M. Goerne (© Michael Gregonowits)


A l’exemple de Dietrich Fischer-Dieskau, Matthias Goerne a toujours porté un soin particulier au choix de ses accompagnateurs, réussissant souvent des mariages artistiques stimulants. Des expérimentations parfois sans lendemain – comme sa dernière anthologie Schubert chez Harmonia Mundi, où chaque volume convoquait un pianiste différent (Elisabeth Leonskaïa, Helmut Deutsch, Eric Schneider, Christoph Eschenbach, Ingo Metzmacher, Alexander Schmalcz, Andreas Haefliger...) – mais aussi des collaborations appelées à durer. Celle engagée avec Daniil Trifonov, inaugurée en 2016, semble aujourd’hui relever de cette seconde catégorie. Une association intéressante, même si l’on peut se demander si elle n’intervient pas un peu tard dans la carrière du baryton allemand. Mais on y reviendra.


En attendant, la première partie du concert se savoure pleinement. Dans cette atmosphère si particulière qu’installe Trifonov – rare pianiste capable d’inviter un public à l’écouter tout en semblant ne pas vraiment s’apercevoir qu’il est là –, on assiste à une interprétation inoubliable de la Sonate D. 894, chef‑d’œuvre de 1826, un peu à part dans le corpus schubertien, juste avant les trois ultimes Sonates de 1828, plus fréquemment programmées. Un poème musical qui bouscule bien des cadres, y compris ceux d’une forme librement réinventée, en particulier au cours d’un premier mouvement d’une construction avant tout fantasque. Immobilité contemplative, intériorisation, ou au contraire agogique sans contrainte, l’interprétation de Trifonov fascine par sa fluidité et son introspection. Des instants d’éternité schubertiens comme on les aime, dont la simplicité apparente fait complètement oublier une sophistication pourtant impressionnante de la technique pianistique. Une première partie rêveuse, hors du temps, dont on ne s’extrait qu’à regret lorsque les lumières se rallument.


Hélas, le charme s’interrompt net après l’entracte. En seconde partie, dans le sillage pressé du pianiste surgit un personnage que l’on prend d’abord distraitement pour le tourneur de pages, avant de réaliser qu’il s’agit de Matthias Goerne lui‑même, spectaculairement aminci, que l’on n’avait pas tout de suite reconnu, avec même des cheveux et des favoris. Mais pas de doute : une fois que Goerne commence à chanter, c’est bien lui. D’abord à cause de ce timbre immédiatement reconnaissable, et de cette émission un peu en arrière qui peut déplaire mais reste caractéristique. Et puis, malheureusement, en raison d’une tenue en scène à nouveau totalement déplorable. Un phénomène fluctuant chez Goerne, en fonction du trac et de la nervosité du moment, mais qui, ce soir, dépasse franchement les limites du supportable. Silhouette constamment en mouvement, tantôt arc‑boutée au piano, tantôt propulsée vers le haut au point que l’on puisse craindre une collision frontale avec le couvercle, tantôt déployée vers la droite en sautillant. Bref, ce n’est pas possible. On ferme donc les yeux : rupture de contact avec l’interprète qui ne fait qu’accentuer la perception de tout ce qui, vocalement aussi, fonctionne mal. Des graves toujours riches, mais des ruptures de registre, des aigus périlleux à force d’être attrapés à la volée plutôt que solidement soutenus, et une diction tantôt limpide, tantôt trop sourde.


Le recours au surtitrage s’impose fréquemment, au problème près que les interprètes ont choisi, au dernier moment, de supprimer « Die Taubenpost », normalement ultime Lied du Chant du cygne, au profit d’un autre lied de Schubert interpolé plus tôt. Résultat : l’assistant chargé du défilement des textes se perd, recommence, puis finit par capituler en éteignant l’écran. A cela s’ajoute une curieuse dissociation entre le chant et le piano, comme si Trifonov jouait ici avant tout pour lui-même, parfois un peu trop fort, mais surtout avec une densité de timbre qui relègue la voix à l’arrière‑plan. Dans « Ständchen », on a presque l’impression d’entendre la transcription de Liszt, donc autrement dit, sans voix. Ce n’est évidemment pas le cas, mais on n’en est parfois pas si loin. Restons positifs : quelque chose de lunaire et d’égaré continue de fasciner, autant dans la voix que dans l’accompagnement, au cours des pages les plus cauchemardesques, donc « Die Stadt » ou « Der Doppelgänger », mais est‑ce bien suffisant ?


Accueil relativement consterné à la fin, d’un public qui applaudit poliment mais prend vite la fuite, sans même insister pour obtenir un bis qui, de toute façon, au vu du programme, ne lui aurait peut‑être pas été accordé.



Laurent Barthel

 

 

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