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Place aux compositrices !

Paris
Cité de la musique
10/24/2025 -  
Eva Reiter : Irrlicht
Sara Glojnaric : Pure Bliss
Ni Zheng : Cauldron of Mania (création)
Zara Ali : S.M.B. (South Memphis, Bitch) (création)
Luciano Berio : Folk Songs

Sarah Aristidou (soprano)
Ensemble intercontemporain, Vimbayi Kaziboni (direction)
Clément Marie (ingénieur du son)


S. Aristidou (© Neda Navaee)


Ce soir, honneur aux dames : un « classique » de la musique contemporaine est précédé de quatre créations (deux mondiales, deux françaises) de quatre compositrices différentes. Si les Editions de la Philharmonie de Paris font paraître ces jours‑ci une anthologie bienvenue des écrits du maître italien (*), on regrettera que la programmation du Festival d’automne n’ait pas cru bon devoir rappeler, en cette année du centenaire, que Luciano Berio (1925‑2003) n’est pas que le compositeur de Sinfonia (à l’affiche du concert du 28 novembre) et de Folk Songs.


Sarah Aristidou livre une interprétation appariée à l’esprit chambriste de la version originale (1964) pour sept instrumentistes en ce qu’elle tisse des liens subtils avec les musiciens et sait compenser son déficit de projection par un nuancier adapté aux différentes songs : la voici tour à tour gouailleuse (« Rossignolet du bois »), gutturale (« A la femminisca ») et feutrée quand elle engage un colloque captivant avec l’alto et le violoncelle (très strophique « Lo fiolairé ») avant la song finale d’Azerbaïdjan, jubilatoire, où se distingue le piccolo de l’excellent Matteo Cesari.


Incitatif et discret dans Berio, Vimbayi Kaziboni a fort à faire en première partie dans les univers âpres des compositrices, lesquelles partagent un intérêt commun pour la voix. Ainsi Irrlicht (2012) d’Eva Reiter (née en 1976) met en avant « un phrasé spécifique, inspiré par la sonorité et la mélodie de la voix humaine ». La spatialisation spectaculaire de la partie électronique démultiplie les sons riches en impuretés (bruit blanc inclus) produits par les musiciens en surrégime, à qui sont prescrits les modes de jeu les plus exubérants. Il n’est pas jusqu’au l’usage de tubes et de tuyaux que cette partition ne sollicite en vue d’évoquer les images de « feux follets » (traduction du titre), ces lumières éphémères, « manifestation de l’esprit sur terre ». Certes, on ne ressent guère la fragilité de ces phénomènes naturels dans le style abrupt de la compositrice autrichienne, mais la magie opère et les dix minutes passent comme un (mauvais ?) rêve éveillé.


Sara Glojnaric (née en 1991) parle de « collection de Polaroid sonores » au sujet de Pure Bliss, une pièce de 2022 conçue en partenariat avec les membres du Klangforum Wien. La « collection » de tous ces moments (souvent très brefs) favoris des musiciens dans tel morceau de musique (classique ou non), a été rassemblée en amont ; elle constitue le matériau de base de la composition en plusieurs volets. Les membres de l’Ensemble intercontemporain (EIC), fouettés par les bourrasques de l’électronique, font de leur mieux pour s’approprier les choix de leurs confrères viennois. Frappe l’hybridation revendiquée du matériau, même si la plupart ont jeté leur dévolu sur des musiques étrangères au domaine classique (appelons‑les ainsi faute de vocabulaire), donc majoritairement tonales, tel le choix du chef d’orchestre lors d’une séquence très théâtrale où, face au public et à la régie, il lève la main munie d’une télécommande : et une chanson de Nina Simone d’émerger.


Les œuvres programmées nécessitant d’important changements de plateau, Clara Iannotta, directrice du Festival d’automne, invite les artistes à s’exprimer sur scène. On ne sera guère surpris d’apprendre l’engagement en faveur de l’écologie de Ni Zheng (née en 1997) et Zara Ali (née en 1995) appartenant toutes deux à la génération dite « Z ».


La première, bouleversée par les violences infligées aux animaux diffusées sur internet, a poussé un cri d’indignation retentissant devant les micros d’un studio ; il servira de matériau séminal à Cauldron of Mania pour ensemble amplifié et électronique, qui plonge le public dans un compost de violences et d’outrages. L’oreille de public saigne avant une brève coda aux allures d’agonie.


Particulièrement polyvalents cette soirée, les musiciens de l’EIC sont appelés à réciter alternativement un texte dans S.M.B. (South Memphis, Bitch) de la seconde, originaire de Memphis, et marquée par le saccage des paysages du Tennessee à la suite de l’installation d’une « usine de calcul intensif appartenant à Elon Musk ». Vimbayi Kaziboni distribue la parole aux différents intervenants mais reprend les rênes en mains quand percent des relents hip‑hop inspirés par le groupe américain Three 6 Mafia – une convergence des luttes face aux ravages du capitalisme triomphant ? Sans doute manque‑t‑il à ces deux créations mondiales l’infraction de génie qui eût transfiguré la teneur vindicative du propos.


(*) Luciano Berio : Ecrits sur la musique, édition établie par Angela Ida de Benedictis.



Jérémie Bigorie

 

 

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