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Génération montante Vaucluse Roussillon (Eglise Saint-Michel) 08/16/2025 - et 28 août 2025 (Sønderborg) Joseph Haydn : Quatuor n° 78 « Sonnenaufgang », opus 76 n° 4
Ulvi Cemal Erkin : Quatuor
Ludwig van Beethoven : Quatuor n° 15, opus 132 Quatuor Javus : Marie-Therese Schwöllinger, Alexandra Moser (violon), Marvin Stark (alto), Oscar Hagen (violoncelle)

Alors que le Festival de la Roque-d’Anthéron s’apprête à baisser le rideau, le Festival de Quatuors du Luberon prend la relève : les mordus de clavier ont pu passer un mois au pays de Cocagne mais les amoureux de la musique de chambre, qui sont parfois les mêmes, bénéficient durant deux semaines, du 16 au 31 août, d’une programmation dont le principe est identique, consistant à alterner formations expérimentées (Arod, Diotima, Modigliani, Van Kuijk, Wassily), accompagnées le cas échéant d’excellents musiciens tels que le pianiste Jonas Vitaud ou le violoniste Julien Dieudegard, et génération montante, au fil de douze concerts en l’abbaye de Silvacane ou dans les églises romanes de trois villages environnants (Cabrières d’Avignon, Goult, Roussillon).
Intitulée « De cinquante ans en cinquante ans » et construite par conséquence autour des années 1975, 1925, 1875, etc..., cette cinquantième édition est en même temps la quinzième sous la présidence et la direction artistique d’Hélène Caron‑Salmona, qui a eu l’heureuse idée de rendre un hommage au compositeur Bruno Ducol (1949‑2024), dont Adonaïs avait été créé au festival en 2016. Il faut à cet égard reconnaître la constance dont fait preuve la manifestation pour défendre la musique de notre temps : seront ainsi donnés le Quintette avec piano « Titanic » de Corentin Apparailly, en création, ainsi que Brains de Misato Mochizuki, les Impressions parisiennes de Baptiste Trotignon et Lui e loro d’Elise Bertrand. Il convient en outre de saluer des choix qui ne cèdent pas à la facilité, comme le Quatorzième Quatuor de Chostakovitch et les Douze Microludes de Kurtág, voire les Sept Dernières Paroles de Haydn.
 M.-T. Schwöllinger, A. Moser, M. Stark, O. Hagen (© Festival de Quatuors du Luberon 2025)
Parmi les dix ensembles à l’affiche, le Quatuor Javus, dont le nom reste entouré de mystère, n’est certes pas le plus connu, mais on gage qu’on ne pourra pas dire la même chose d’ici peu d’années. Créé en 2016 à Salzbourg, basé à Vienne et formé de musiciens autrichiens et allemands, une bonne fée s’est penchée sur son berceau : le violoncelliste Oscar Hagen est le fils de Lukas Hagen et la biographie du jeune quatuor assume qu’il a été « fortement influencé » par le premier violon et fondateur en 1981 à Salzbourg, avec les autres membres de sa fratrie, du quatuor auquel ils ont donné leur nom et qui mettra un terme à son activité l’année prochaine.
Dans l’acoustique raisonnablement généreuse de l’église Saint‑Michel (XVIIe‑XVIIIe) de Roussillon, bien remplie – une bonne centaine d’auditeurs –, le Quatuor Javus opte d’abord pour un quatuor de Haydn. Entrée en matière certes habituelle, ce qui ne signifie pas confortable pour autant, car cette musique se caractérise notamment par ses redoutables exigences stylistiques. Dans le préromantique Opus 76 n° 4, dit « Lever de soleil », l’adéquation apparaît incontestable, avec une touche viennoise, une manière délicatement charmeuse, auxquelles s’ajoute le remarquable équilibre entre les pupitres que traduit l’absence de maillon faible : chacun tient sa place, et au meilleur niveau. On pourra également relever le parti pris de jouer les deux reprises du Menuet lorsqu’il revient après le Trio.
Le site du Quatuor Javus nous révèle qu’il « tourne » cette année avec deux vraies raretés : le Premier Quatuor de Hans Gál et l’unique Quatuor (1936) d’Ulvi Cemal Erkin (1906‑1972). Au temps de l’occidentalisation du pays, la Turquie a eu elle aussi son « groupe des cinq », nés dans la première décennie du siècle passé, dont Erkin fut, avec Ahmed Adnan Saygun, l’un des deux plus illustres représentants. Sans prétendre que la partition, divisée en quatre brefs mouvements, approche les plus grandes du genre à la même époque (Bartók, Hindemith, Martinů, Schönberg), elle ne manque pas d’atouts : concision de la pensée, qualité de l’écriture, élan rythmique et séduction mélodique. A Paris, Erkin eut pour maîtres les frères Gallon et de Nadia Boulanger, ce qui s’entend parfois dans une certaine parenté ravélienne, mais la manière dont se diffusent d’énergiques saveurs populaires évoque évidemment Bartók tandis que le langage volontiers modal fait aussi penser aux contemporains anglais (Vaughan Williams, Bridge, Moeran...). Le public suit, au point d’applaudir trop tôt, croyant que le final était terminé – mais il est vrai qu’il n’a pas non plus hésité à applaudir entre les mouvements tout au long de la soirée.
Après l’entracte, le Quatuor Javus fait preuve d’une maîtrise très impressionnante dans le Quinzième Quatuor (1825) de Beethoven, au‑delà même de la technique et nonobstant la chaleur assez intense qui règne encore alors que la nuit est tombée. Il ne se perd pas en chemin dans cette œuvre gigantesque et réussit à y apposer sa marque, comme l’atmosphère schubertienne dont il entoure le second thème de l’Allegro initial ou bien la grâce dansante qu’il confère à l’Allegro ma non tanto qui suit. Il n’est pas donné à tous les interprètes de faire vivre l’immense troisième mouvement, et encore moins comme ceux‑ci sont parvenus à le faire : dans ce « chant sacré d’action de grâce d’un convalescent à la Divinité », hélas marqué à trois reprises par la chute bruyante d’objets dans les rangs de l’église, ils font fortement contraster le choral Adagio – dont ils varient la couleur par le jeu sur le vibrato, parfois inexistant – avec les sections Andante (sentendo nuova forza), très expansives. Cette dramatisation se poursuit dans le bref quatrième mouvement, particulièrement vif et vigoureux – le convalescent se porte visiblement beaucoup mieux – avant un récitatif superbement conduit, plein d’assurance. Marqué par le chant et sans doute encore par un tropisme schubertien, l’Allegro final ne devient vraiment appassionato que dans la coda, aboutissement d’une prestation en tout point remarquable.
En bis, le Quatuor Javus ramène opportunément au climat de l’Adagio avec un arrangement du prélude de choral de Bach Ich ruf’ zu dir, Herr Jesu Christ.
Le site du Festival de quatuors du Luberon
Le site du Quatuor Javus
Un site consacré à Ulvi Cemal Erkin
Simon Corley
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