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Un Mahler chambriste Montpellier Le Corum (Opéra Berlioz) 07/10/2025 - Richard Wagner : Tristan und Isolde : Prélude de l’acte I
Gustav Mahler : Symphonie n° 2 en ut mineur « Résurrection » Rachel Willis-Sørensen (soprano), Marianne Crebassa (mezzo)
Orfeón Donostiarra, José Antonio Sainz Alfaro (chef de chœur), Orchestre national du Capitole de Toulouse, Tarmo Peltokoski (direction)

Parmi les concerts les plus attendus de la quarantième édition du festival Radio France Occitanie Montpellier figure incontestablement celui qui accueille le jeune chef prodige Tarmo Peltoskoski : du haut de ses 25 ans, le Finlandais formé par l’incontournable Jorma Panula n’en finit plus de surprendre, comme nous le constations en début d’année à Toulouse, lors d’une soirée de lancement de son intégrale des Symphonies de Vaughan Williams, accompagnée par rien moins que Deustche Grammophon. Il aurait d’ailleurs été préférable de continuer à promouvoir cette musique trop méconnue en France, même si Montpellier, dans le cadre du festival estival, a eu la chance d’entendre la Sea Symphony voilà trois ans.
Le programme rend hommage au chef d’orchestre Hans von Bülow, qui fut l’un des plus fervents disciples de Wagner, devenant, entre autres, le créateur de Tristan et Isolde en 1865. Lors d’une présentation au piano d’extraits de la Deuxième Symphonie par Mahler, il ne put s’empêcher une comparaison avec l’illustre modèle, ravalant Tristan au rang d’une symphonie de Haydn. Faut‑il y voir une perfidie, de la part de celui qui s’était fait voler son épouse par le même Wagner ? Quoi qu’il en soit, la volonté de faire entendre le Prélude de Tristan directement enchaîné avec le premier mouvement de la symphonie de Mahler, permet d’en juger par soi‑même. Ce mouvement est l’adaptation de Totenfeier (Cérémonie funéraire), un poème symphonique composé en 1888, six ans avant l’achèvement de la symphonie. Du fait de son tempérament volcanique, très différent par rapport à l’Andante moderato qui suit, Mahler ira jusqu’à demander une pause de cinq minutes entre les deux ! L’entrée opportune du choeur Orfeón Donostiarra permet précisément cet intermède, même si le chœur, admirable d’homogénéité et d’engagement, n’est sollicité que dans le dernier mouvement.
Quoi que l’on pense de ces détails et anecdotes, elles permettent de renouveler notre écoute d’une symphonie que l’on connaît dans les moindres recoins, tant celle‑ci est désormais solidement implantée au répertoire. D’où vient pourtant que la soirée se révèle passionnante de bout en bout ? Le premier mérite en revient évidemment à l’Orchestre du Capitole, dont on ne finit plus de s’extasier sur les qualités techniques, concert après concert. L’autre atout revient à l’affinité déjà évidente avec son jeune chef, tant la formation suit chacune de ses intentions en une confiance aveugle, persuadée d’être entre de bonnes mains. Dirigeant sans partition, Peltokoski imprime ainsi une concentration immédiate, en refusant tout vibrato et pathos. L’allégement des textures et la transparence, aux lignes horizontales, forment une atmosphère toute de recueillement, presque de renoncement par endroits.
Dans le premier mouvement, lisibilité et douceur restent les maîtres mots, au service d’une battue régulière et imperturbable. Les arêtes ne sont pas appuyées, en une optique legato toujours envoutante. De cette lecture chambriste naît une grandeur sans lyrisme aux cordes, par le seul plaisir de la finesse des transitions, ciselées avec la précision d’un orfèvre. Le refus de toute emphase, comme de tout épanchement, imprime des tempi souvent plus vifs dans les tutti, en une lecture analytique, plus intellectuelle que physique. Les détails révélés dans les alliages de timbres n’en sont que plus fascinants, notamment dans la construction admirablement étagée des crescendos.
On l’a dit, l’Andante moderato qui suit procure un effet de contraste par son apaisement et sa simplicité d’orchestration, principalement confiée aux cordes. Presque murmurés, les phrasés ondulent entre souplesse et modulations aériennes, tandis que Peltokoski montre une facette inhabituellement facétieuse en se tournant vers le public, pour lui signifier un passage tout de malice en pizzicato, aux flûtes et harpes. Il se montre plus encore à son aise dans le Scherzo, qui annonce Chostakovitch dans la rythmique chaloupée aux accents volontairement grotesques. L’opposition entre cordes et vents est bien déliée, tout en minorant les effets solistes, au profit d’une lecture qui joue la carte de la légèreté aérienne, d’une grâce infinie. Toujours passionnante et imprévisible, cette battue réserve quelques moments marquants, tel que ces piani superbement tenus après un tutti fracassant.
Avec Marianne Crebassa, on tient une interprète de grande classe pour donner ses lettres de noblesse à un Urlicht déchirant de simplicité, porté par un timbre suave. Accompagnée du cor anglais, la Montpelliéraine confirme qu’elle est une des cantatrices les plus intéressantes de sa génération. Le Finale, avec sa longueur démesurée d’une trentaine de minutes, n’évite pas un découpage séquentiel, sous la battue un rien trop extérieure de Peltokoski. Si on peut s’extasier à juste titre sur les qualités de mise en place ou sur le refus de toute pompe, les dernières mesures s’éloignent trop du narratif, en mettant en avant les scansions aux cuivres. L’entrée murmurée du chœur apporte un effet saisissant en contraste, bientôt électrisée d’envolées homophoniques plus vigoureuses. Une soirée globalement de très haute tenue, malgré quelques réserves sur les mouvements extérieurs.
Florent Coudeyrat
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