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Le sens du patrimoine Poitiers
08/23/2002 - Du 23 août au 1er septembre 2002 Festival Colla Voce, voix et orgues à Poitiers Du 23 août au 1er septembre 2002
Site du festival, www.collavoce.org
Les églises de Poitiers sont si belles et leurs orgues si parfaitement restaurés qu’un festival s’imposait ! C’est chose faite depuis trois ans avec le festival «Colla voce» qui prend place fin août dans la capitale de la région Poitou-Charente, du 23 août au 1er septembre pour cette édition. Centré sur la voix et l’orgue, la programmation se révèle l’une des plus recherchées parmi les festivals qui couvrent la France durant l’été : toutes les époques sont représentées, du Moyen Âge à nos jours, des hommages sont consacrés à des figures marquantes du XXe siècle (Duruflé, Messiaen, Cage) ou à des compositeurs baroques encore mal connus (Cavalieri, Cavalli), des rapprochements lancent des ponts entre des esthétiques différentes (des concerts Bach-Messiaen, Bach-Hersant). Hormis le médiatique Chœur Accentus de Laurence Equilbey (le 30 août à l’église Saint-Jean-de-Montierneuf), le directeur artistique Michel Boédec fait surtout confiance à des artistes en devenir, dont la qualité n’est pas encore reconnue à leur juste valeur (le chœur de chambre Les Eléments de Joël Suhubiette, l’ensemble Musicatreize de Roland Hayrabedian, la violoniste Stépahanie-Marie Degand, ...) mais qui confèrent à ce festival un niveau tout à fait enviable.
Néanmoins, des intentions à la réalisation, il est parfois de petits hiatus... Pour le concert d’ouverture du 23 août à l’église Sainte-Radegonde, l’idée d’alterner Jean-Sébastien Bach (Clavierübung III) et Olivier Messiaen (Livre d’orgue) est judicieuse, mais encore fallait-il s’épargner de choisir ce que le compositeur français a écrit de plus rébarbatif. Lorsqu’il crée son Livre d’orgue en 1951, Messiaen souhaite sans doute démontrer qu’il sait composer de la musique aussi «moderne» que celle de ses élèves, comme Pierre Boulez, qui commencent à s’émanciper, ce qui nous vaut des passages d’une agressivité et d’une complexité assez gratuites, typiques de cette époque. Ce programme se révèle quelque peu sévère pour un concert d’ouverture sensé accueillir le public du festival ! Les pièces de Bach ne sont pas non plus transcendantes, loin de là, l’organiste Michel Bourcier adoptant une lecture métronomique gommant les moments clés et les points d’appui du discours. Le lendemain midi, à l’église Notre-Dame-la-Grande, il exécute d’une traite, sans donner de respiration ni user de nuances, la Passacaille et fugue en ut mineur BWV 582 et réussit à rendre ennuyeuse cette pièce superbe.
Mais l’événement de ce premier week-end consistait en rien de moins qu’une création mondiale, Le Premier rêve de Martin Luther King de Pierre-Adrien Charpy, samedi 24 août à l’église Saint-Hilaire-le-Grand. Ecrit pour un chœur de chambre (Les Eléments), quatre percussionnistes (Percussions Rhizome), un quatuor de saxophones (Xasax) et deux voix (Arnaud Mazorati et Vincent Bouchot), cet oratorio met en musique l’apparition de Gandhi dans un rêve du jeune King pour lui enseigner la non violence. Le livret - écrit par le compositeur - baigne dans une langue religieuse prosaïque et atteint son objectif de donner vie au héros de la lutte des droits civiques aux USA. L’écriture musicale se veut d’abord consonante, sensuelle, sans rupture avec le passé mais ne cherche pas non plus la facilité et ne rechigne pas à l’expérimentation. Se situant dans l’esthétique d’un Thierry Escaich, Pierre-Adrien Charpy relève le pari d’émouvoir avec une musique qui sait s’acquitter de sa dette envers le passé tout en étant de notre temps. Le travail d’orchestration mêle avec intelligence et subtilité les sonorités d’une formation originale (chœur, percussion, saxophones), les audaces d’écriture emportent l’adhésion (une scène de folie sur une mesure à 13 temps, des voix féminines mêlant chant grégoriens et pleurs), les scènes de recueillement captivent comme celle, très animée, de la «bataille». L’excellente direction musicale de Joël Suhubiette, le chef des Eléments, rend justice à la partition, même si l’acoustique réverbérante de l’église dilue quelque peu son geste. Le public nombreux réserve un accueil enthousiaste et mérité à cette création.
On retrouve ce chef et son ensemble le lendemain après midi à l’église Sainte Radegonde dans des motets de Bach ainsi que «Aus Tiefer Not» (Psaume 130) composé en 1994 par Philippe Hersant. Là encore, la continuité revendiquée avec le passé n’entraîne, chez lui, rien de «passéiste», et ce compositeur au talent déjà reconnu signe ici un classique. Comme la veille avec la création de Pierre-Adrien Charpy, le public - les « locaux » comme les « festivaliers » - accueille avec enthousiasme la pièce de Philippe Hersant et valide par là une programmation qui sait se faire audacieuse et originale.
Le même jour à midi, le musée Sainte-Croix accueillait deux jeunes talentueuses violonistes, Stéphanie-Marie Degand et Stéphanie Paulet, dans un programme d’œuvres du XXe siècle (la Sonate à deux violons de Prokofiev, des duos de Bartok et de Berio, la Sonata breve de Tanguy). On rajoute des bancs pour accueillir un public plus nombreux que prévu venu écouter ces deux artistes qui jouent ensemble dans Le Concert d’Astrée (l’ensemble d’Emmanuelle Haïm) et mènent parallèlement une carrière de chambriste et de soliste. L’assurance de Stéphanie-Marie Degand dans la pièce pour violon seul d’Eric Tanguy impressionne, tout comme la complicité dont font preuve les deux artistes. Des noms à suivre, assurément.
Un premier week-end riche en émotions et en découvertes qui donne le ton d’un festival qui, pour sa troisième édition, impose déjà une originalité et une qualité enviables. Gageons qu’à l’avenir le voyage à Poitiers, pour les mélomanes de la région et de France, entrera dans les habitudes !
Philippe Herlin
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