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Un très grand cru Evian Grange au Lac 06/28/2025 - Richard Strauss : Acht Gedichte, opus 10 : 1. « Zueignung » [**], 2. « Nichts » [*], 3. « Die Nacht » [**], 4. « Die Georgine » [*], 5. « Geduld » [**], 6. « Die Verschwiegenen » [*], 7. « Die Zeitlose » [*] & 8. « Allerseelen » [*] – Wer hat’s getan, TRV 142 [**] – Lieder, opus 32 : 1. « Ich trage meine Minne » [**] & 3. « Liebeshymnus » [**] – Lieder, opus 29 : 2. « Schlagende Herzen » [*] & 3. « Nachtgang » [**] – Kleine Lieder, opus 69 : 3. « Einerlei » [*] – Lieder, opus 48 : 1. « Freundliche Vision » [*] & 2. « Ich schwebe » [*] – Lieder, opus 37 : 1. « Ich liebe dich » [**] – Sechs Lieder aus „Lotosblätter“, opus 19 : 1. « Wozu noch, Mädchen » [**], 2. « Breit über mein Haupt » [*] & 4. « Wie sollten wir geheim sie halten » [*] – Lieder, opus 39 : 1. « Leises Lied » [*] – Lieder, opus 27 : 1. « Ruhe, meine Seele » [**], 2. « Cäcilie » [**], 3. « Heimliche Aufforderung » [**] & 4. « Morgen » [*]
Gustav Mahler : Des Knaben Wunderhorn : « Rheinlegendchen », « Wer hat dies Liedlein erdacht », « Ablösung im Sommer » & « Es sungen drei Engel » [*] – Um schlimme Kinder artig zu machen [*] – Rückert-Lieder : « Ich atmet’ einen linden Duft », « Liebst du um Schönheit », « Blicke mir nicht in die Lieder » & « Ich bin der Welt abhanden gekommen » [**] Diana Damrau [*] (soprano), Jonas Kaufmann [**] (ténor), Helmut Deutsch (piano)
 H. Deutsch, D. Damrau, J. Kaufmann (© Les Mélèzes/Matthieu Joffres)
Les Rencontres musicales d’Evian 2025 ont démarré le 25 juin avec une superbe Cinquième Symphonie de Mahler, vibrante et puissante, par l’Orchestre du Festival de Budapest placé sous la baguette d’Iván Fischer. Un coup d’envoi magistral pour cette édition qui s’annonce comme l’une des plus riches et des plus audacieuses de ces dernières années. Renaud Capuçon, directeur artistique de la manifestation depuis trois ans, a concocté une affiche particulièrement variée, embrassant une diversité de styles, de formations et de disciplines rarement réunis en un même événement : grands concerts symphoniques (Orchestre national du Capitole de Toulouse, Royal Philharmonic Orchestra, Orchestre de chambre de Lausanne, Orchestre de chambre Mahler), concerts lyriques (Les Arts Florissants), récitals intimistes et classes de maîtres, les artistes les plus prestigieux (Emanuel Ax, Mao Fujita, Alexander Malofeev, Gautier Capuçon, Yuja Wang, Lea Desandre ou encore William Christie, pour ne citer que les plus connus) côtoyant les talents de demain. Grâce à son carnet d’adresses bien fourni, le célèbre violoniste a pu aussi inviter Anne‑Sophie Mutter, qui ne s’était plus produite à Evian depuis trente ans, ou encore le pianiste Igor Levit, pour l’une de ses très rares apparitions en France, lui qui joue surtout dans l’espace germanophone. Il a donné une interprétation très personnelle d’œuvres de Schubert, Schumann et Chopin, au grand dam des puristes, mais pour le plus grand bonheur du public présent.
Renaud Capuçon a également voulu inclure la guitare dans sa programmation, un instrument souvent négligé par les grandes scènes classiques. Il a en outre frappé un grand coup en intégrant la danse, absente d’Evian depuis 1998. Il a fait venir, en voisin, le Béjart Ballet Lausanne avec une pièce iconique, le Boléro, créée par Maurice Béjart en 1961. Comme le plateau de la Grange au Lac – la splendide salle d’Evian, entièrement en bois et nichée dans un magnifique parc aux arbres centenaires – n’est pas assez grande pour accueillir, en plus des danseurs, un grand orchestre, le directeur artistique a eu l’idée de faire appel à un chœur mixte, Les Métaboles, fredonnant et chantant a cappella la célèbre musique de Ravel (transcription de Thibault Perrine). Un moment inoubliable que cette version entièrement vocale. Maurice Ravel occupe d’ailleurs une place de choix sur l’affiche, à la faveur du cent‑cinquantième anniversaire de sa naissance, avec l’intégralité de sa musique de chambre, présentée au fil de trois concerts. Une plongée dans l’univers raffiné et subtil du compositeur, à travers des œuvres emblématiques mais aussi quelques raretés. Accompagné au piano par Guillaume Bellom, Renaud Capuçon a offert une somptueuse Seconde Sonate, avec un troisième mouvement d’une folle virtuosité. La Première Sonate n’était pas moins éblouissante, avec cette fois Arthur Hinnewinkel au clavier.
Parmi les (nombreux) moments forts de cette édition 2025, le récital de la soprano Diana Damrau et du ténor Jonas Kaufmann, accompagnés au piano par Helmut Deutsch, occupe une place à part. Les deux chanteurs ont proposé un programme de lieder de Richard Strauss et de Gustav Mahler, un répertoire exigeant, intimiste, taillé sur mesure pour ces deux voix au sommet de leur art. Avant même les premières notes, la complicité entre les deux artistes irradiait la scène. En parfaite alternance, lorsque l’un chantait, l’autre devenait spectateur bienveillant, tendre partenaire en silence. Regards complices, gestes affectueux, mains qui se frôlent ou se posent doucement sur l’épaule de l’autre : une gestuelle chargée d’émotion qui disait tout d’une profonde amitié artistique, et surtout d’une entente musicale rare.
Si elle a mis un peu de temps à trouver la plénitude de son timbre et malgré un certain maniérisme dans son chant, Diana Damrau a rapidement déployé l’étendue de son talent : son contrôle vocal, son sens des nuances, son art de la ligne ont subjugué les spectateurs. Mais c’est Jonas Kaufmann qui, ce soir, a véritablement envoûté l’auditoire. Dans une forme impériale, il a touché au sublime à deux reprises. Tout d’abord avec un « Geduld » de Strauss d’une intensité troublante, puis, en fin de programme, avec un « Ich bin der Welt abhanden gekommen » (tiré des Rückert‑Lieder de Mahler) livré pianissimo, dans un souffle de voix, presque murmuré, comme suspendu hors du temps. Un moment de grâce qui a plongé la salle dans un silence vibrant, ému et partagé. Cette réussite musicale n’aurait pas été possible sans la présence magistrale de Helmut Deutsch. Complice de toujours de Jonas Kaufmann, partenaire attentif de Diana Damrau, le pianiste a tissé autour des voix un écrin sonore d’une richesse infinie. Son jeu, tout en couleurs et en respirations, a su créer les atmosphères nécessaires à l’épanouissement des textes et des mélodies. Un seul (léger) bémol : il a fallu attendre les bis – « Trost im Unglück » de Des Knaben Wunderhorn et « Spring Wind » (en anglais) d’Eric Harding Thiman (1900‑1975) – pour avoir droit à des duos.
Dans le cadre idyllique des bords du Léman, entre montagne et lac, cette édition 2025 des Rencontres musicales d’Evian conjugue excellence et audace, tradition et innovation, jusqu’au 5 juillet. Voilà qui est de bon augure pour l’été prochain, qui verra l’ouverture, juste à côté de la Grange au Lac, d’une seconde salle, plus petite, devant permettre à la manifestation de multiplier son offre et de faire de la petite station thermale, plus que jamais, un haut lieu musical de l’été.
Le site des Rencontres musicales d’Evian
Claudio Poloni
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