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Fable écologiste

Frankfurt
Bockenheimer Depot
06/06/2025 -  et 8, 11, 13, 15, 17, 22*, 25 juin 2025
Aribert Reimann : Melusine
Anna Nekhames (Melusine), Zanda Svede (Pythia), Cecilia Hall (Madame Lapérouse), Jaeil Kim (Oleander), Liviu Holender (Comte de Lusignan), Dietrich Volle (Géomètre), Frederic Jost (Maçon), Andrew Kim (Architecte), Morgan‑Andrew King (Ogre), Ekin Su Paker, Daria Tymoshenko, Zuzana Petrasova (Trois invitées), Hubert Schmid, Alexander Winn (Deux Invités), Dominic Betz (Secrétaire), Hubert Schmid, Alexander Winn, Dominic Betz (Trois ouvriers)
Frankfurter Opern- und Museumsorchester, Karsten Januschke (direction)
Aileen Schneider (mise en scène), Christoph Fischer (décors), Lorena Diaz Stephens (costumes), Olaf Winter, Jonathan Pickers (lumières), Maximilian Enderle (dramaturgie)


(© Barbara Aumüller)


A la mort de son ami Hans Werner Henze en 2012, Aribert Reimann (1936‑2024) comptait, avec Detlev Glanert (né en 1960), au nombre des compositeurs allemands contemporains les plus joués sur les scènes lyriques. Lecteur compulsif, arpenteur inlassable de la poésie germanique en qualité d’accompagnateur de lieder, Reimann puisa son inspiration dans les grands textes de la culture européenne, de Strindberg (Le Songe, 1964) à Maeterlinck (L’Invisible, 2017), en passant par Shakespeare (Lear, 1978), Euripide (Troades, 1986), Kafka (Le Château, 1992), García Lorca (La Maison de Bernarda Alba, 2000) ou Grillparzer (Medea, 2007). L’Opéra de Francfort célèbre ce maître du Literaturoper avec Mélusine (1971), donné au Bockenheimer Depot, la salle principale étant retenue par la reprise du couplage La Damoiselle élue/Jeanne au bûcher dans la production d’Alex Ollé.


Le public prend place sur des gradins disposés autour de la scène circulaire. Relégué au second plan, l’Orchestre (une trentaine de musiciens) de l’Opéra de Francfort se distingue par sa transparence et l’expressivité des échappées solistes : alto, harpe, flûte alto, sans compter l’effet vrombissant des glissandos de timbales. La direction affûtée de Karsten Januschke confère plasticité aux clusters, ceux‑là mêmes qui évolueront en véritable mur de sons dans Lear sept ans plus tard. Mélusine, troisième opéra de Reimann, scelle sa collaboration avec Claus H. Henneberg, dont le livret se fonde sur la pièce éponyme d’Yvan Goll. L’héroïne y apparaît comme un avatar des nymphes Rusalka, Ondine ou la Petite Sirène. Pour fuir les diktats de son milieu bourgeois incarné par une mère snob (Madame Lapérouse) et un mari odieux (Oleander) sujet à de multiples tocs, la jeune femme se met au vert. Elle finira par trouver le grand amour avec le conte de Lusignan malgré le funeste dessein de celui‑ci de raser le parc afin d’y construire un château. En cédant aux avances (sincères) du conte, Mélusine trahit l’engagement qu’elle avait contracté auprès de sa marraine et fée de la nature, Pythia (équivalent de l’Esprit du lac dans Rusalka de Dvorák). La vengeance de Pythia ne se fait pas attendre : sitôt sa passion amoureuse déclarée en un tristanesque duo, le couple Mélusine/Lusignan se consume dans les flammes.


Aileen Schneider met l’accent sur le versant « fable écologiste » du drame écrit par Goll peu après la Première Guerre mondiale. Au gaz des tranchées a succédé un monde post‑apocalyptique. Les rares îlots de verdure, à la merci des spéculations immobilières, cohabitent avec une humanité qui a désappris son berceau naturel. De là ces tenues anti‑radiations imaginées par Lorena Diaz Stephens où des manières de scaphandre s’ajustent aux combinaisons isolantes. Pour inconfortables qu’ils soient, ces accessoires soulignent les points communs avec notre société post‑covid. A l’économie d’une redoutable efficacité de la direction d’acteurs répond le minimalisme des décors : un voile de tulle enrobe le refuge naturel de Mélusine auquel se substitue, au dernier acte, l’autel d’une église – promesse d’un mariage (avorté).


Le baryton Liviu Holender (conte de Lusignan) et le ténor Andrew Kim (l’Architecte) adoptent une vocalité apparentée à celle – mélismatique et exubérante – de Mélusine à mesure qu’ils en subissent les sortilèges. Le premier se distingue par le velours de son timbre ; le second par un subtil infléchissent qui voit la faconde du prétendant se muer en blessure de l’éconduit. Son homonyme Jaeil Kim écope de l’ingrat Oleander, dont les sauts de registre traduisent le tempérament excessif et obsessionnel, face à la Madame Lapérouse sentencieuse à souhait de Cecilia Hall. Parasité occasionnellement par des passages parlés, le mezzo charnu de Zanda Svede (Pythia) donne ailleurs la pleine mesure de son éventail expressif. La fée peut compter sur les services de l’Ogre – la basse Morgan‑Andrew King, parfaitement en situation –, créature mi maléfique mi attachante. Parmi les soupirants, on n’aura garde d’oublier le Géomètre incarné de manière touchante par Dietrich Volle, vétéran de la troupe de l’Opéra de Francfort. Présente en scène durant la quasi‑totalité du spectacle, Anna Nekhames fait assaut de coloratures virtuoses tout en composant une Mélusine ambiguë, capricieuse, aguicheuse, pétrie de contradictions, qui fait in fine le choix de l’amour humain. On eût souhaité des passages moins systématiquement tendus dans sa partie (le duo puis la transfiguration finale valorisent surtout le rôle du comte et l’ensorcellement de l’orchestre), mais le compositeur l’a voulu ainsi.


Après L’Invisible donné en début d’année, l’institution hessoise confirme sa fidélité à l’œuvre d’Aribert Reimann en même temps qu’elle consolide son statut d’incontournable parmi les grandes scènes internationales.



Jérémie Bigorie

 

 

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