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Un ramassis de clichés éculés

Geneva
Grand Théâtre
06/14/2025 -  et 15, 18*, 20, 22, 24, 26, 27 juin 2025
Giuseppe Verdi : La traviata
Ruzan Mantashyan*/Jeanine De Bique (Violetta Valéry), Martina Russomanno (Violetta Valéry, double chantant), Sabine Molenaar (Violetta Valéry, double dansant), Enea Scala*/Julien Behr (Alfredo Germont), Luca Micheletti*/Tassis Christoyannis (Giorgio Germont), Emanuel Tomljenovic (Gaston de Létorières), Yuliia Zasimova (Flora Bervoix), Elise Bédènes (Annina), Raphaël Hardmeyer (Le Marquis d’Obigny), Mark Kurmanbayev (Le Docteur Grenvil), David Ireland (Le baron Douphol)
Chœur du Grand Théâtre de Genève, Mark Biggins (préparation), Orchestre de la Suisse Romande, Paolo Carignani (direction musicale)
Karin Henkel (mise en scène), Victoria Stevens (collaboratrice artistique à la mise en scène), Aleksandar Denic (décors), Teresa Vergho (costumes), Stefan Bolliger (lumières), Malte Ubenauf (dramaturgie)


(© Carole Parodi)


Ce devait être le sommet de la saison lyrique genevoise. C’est un désastre total, un véritable naufrage. Avec La Traviata, la metteur en scène allemande Karin Henkel signe sans aucun doute possible l’un des pires spectacles de l’année au Grand Théâtre de Genève. Une relecture glauque et mortifère, plombée par un discours idéologique martelé à coup de symboles grossiers et par une mise en scène qui verse dans la caricature outrancière d’un Regietheater éculé. Le premier choc du spectacle vient de Violetta morcelée en quatre figures : d’abord, une fillette maquillée à l’excès par un père qui ensuite, pour quelques billets, la confie à un « protecteur », puis une danseuse complètement désarticulée, manipulée ad nauseam comme un pantin par un groupe d’hommes libidineux. Et enfin, deux chanteuses, lesquelles se partagent le rôle vocal. L’idée d’une héroïne multipliée pour illustrer la violence d’une société patriarcale aurait pu être poignante. Ici, elle devient un inventaire de clichés usés, servis sans aucune subtilité ni finesse. Le sommet du ridicule est atteint à l’acte II lorsque Giorgio Germont, aidé de deux sbires, bâillonne son fils avant d’entamer son grand air. La scène frôle le grotesque. Les hommes sont ici présentés comme des êtres violents, dépourvus de la moindre empathie, incapables d’humanité, des brutes alcooliques, vautrés devant des matchs de boxe. L’œuvre est ainsi relue à travers un prisme univoque de masculinité toxique, au détriment de toute nuance. Et que dire du décor dans lequel se déroule cette Traviata : une immense pièce grise, glauque et froide, parsemée de cercueils, de lits (de morgue ou d’hôpital), de perfusions et même d’un appareil respiratoire. Une horreur. En cherchant à « moderniser » La Traviata par des partis pris sans cohérence dramaturgique, Karin Henkel a réussi l’exploit de livrer une version affadie, caricaturale et surtout profondément ennuyeuse de l’un des opéras les plus bouleversants du répertoire. On apprend dans le programme de salle que la metteur en scène vient du théâtre. Eh bien, qu’elle y retourne illico presto et qu’elle y reste ! L’art lyrique peut très bien se passer d’elle.


Heureusement, tout n’est pas à jeter dans cette Traviata. Il reste la musique de Verdi, servie par des musiciens et des chanteurs admirables. Les deux Violetta (malgré le dispositif scénique absurde) sont tout simplement magnifiques, vocalement souveraines, déployant une émotion authentique, que la mise en scène s’emploie pourtant à saboter. Chapeau mesdames ! Voix légère, claire et lumineuse, Ruzan Mantashyan est entièrement investie dans son personnage. Les vocalises du premier acte sont ciselées avec précision, sa confrontation avec Giorgio Germont au deuxième acte est empreinte tout à la fois de combativité et de résignation et son « Addio del passato » est un grand moment d’émotion. Son double, Martina Russomanno, a une voix beaucoup plus charnue et puissante ; dommage qu’on l’entende si peu, car les rôles ne sont pas partagés équitablement. Le point positif de la multiplication des héroïnes est qu’on entend deux fois « Addio del passato », la première fois chanté par Martina Russomanno, au tout début du spectacle. La metteur en scène a cru bon de changer l’ordre de certaines scènes, mais passons. Luca Micheletti incarne un splendide Giorgio Germont, au chant noble et raffiné, avec de surcroît un superbe legato. L’Alfredo d’Enea Scala peine à convaincre entièrement en raison d’une émission un peu nasillarde et d’aigus souvent forcés, mais le ténor fait preuve de beaucoup d’énergie et d’un bel engagement. A la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, Paolo Carignani offre une lecture précise et équilibrée, nuancée et dynamique, efficace et fluide à défaut d’être inspirée.



Claudio Poloni

 

 

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