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Des Indes pas si galantes que cela (heureusement) Madrid Teatro Real 05/28/2025 - et 29, 31* mai, 1er juin 2025 Jean-Philippe Rameau : Les Indes galantes Julie Roset (Amour, Phani, Fatime, Zima), Ana Quintans (Hébé, Emilie, Zaïre, Atalinde), Mathias Vidal (Valère, Don Carlos, Tacmas, Damon). Andreas Wolf (Bellone, Ousmane, Huascar, Ali, Don Alvar), Compagnie Rualité
Chœur de chambre de Namur, Thibaut Lenaerts (chef de chœur), Cappella Mediterranea, Leonardo García Alarcón (direction musicale)
Bintou Dembélé (direction artistique, chorégraphie), Noémie N’Diaye (dramaturgie), Charlotte Coffinet (costumes), Benjamin Nesme (lumières)
 L. García Alarcón, J. Roset, A. Quintans, M. Vidal, A. Wolf (© Javier del Real/Teatro Real)
Ce sont Les Indes galantes présentées à Paris en 2019, mais en version abrégée, mises en espace sans le bénéfice de la mise en scène originale, une distribution réduite à quatre voix solistes (deux sopranos, ténor, baryton) assumant tous les rôles, en conservant le chœur et, spécialement, les danses, une des attractions de l’aventure audacieuse de Leonardo García Alarcón et Bintou Dembélé il y a six ans. Un opéra‑ballet du baroque (ces quatre petits opéras répétant la même intrigue) en version de concert est un danger pour la résistance du public ; la première partie est tombée dans ce piège, malgré des moments frôlant le sublime (Ana Quintans, fougueuse Hébé, depuis la loge royale du théâtre ; Julie Roset et son air accompagné par la flûte, quant à elle, dans une loge du deuxième balcon, face au flûtiste installé dans une autre loge ; également, mais dans la deuxième partie, le quatuor des solistes dans le tableau des Fleurs).
Mais attention : le point culminant de cette production nous attend dans la scène des Sauvages, avec la danse imitant un caractère débridé et qui est censée être une danse de rue. Dans l’original, les Sauvages sont envahis, mais ils acceptent leur défaite et leur sort avec complaisance. Il ne leur reste plus qu’à vaincre les avances amoureuses du Français et de l’Espagnol envers la jeune Zima. Le sauvage préfigure le bon sauvage de Rousseau, moralement supérieur au conquérant, mais aussi habitant exotique civilisé par la supériorité de « notre monde ».
Si l’on tient compte du fait que Rameau a pris des notes pour sa danse (d’abord au clavecin, puis dans cet opéra) auprès de quelques Indiens exotiques qui se produisaient à la cour, la chorégraphie peut facilement se passer de tout air versaillais. Et sans doute le secret de cette production, de cet opéra‑ballet, est là, dans le mélange d’au moins deux barbaries : l’Européen est barbare pour le Turc, l’Indien, le Persan ; le banlieusard qui danse et récite dans la rue, non sans une certaine violence ou provocation, est le barbare qui a été inventé par le barbare originel, celui qui a voyagé loin, envahi et soumis les autres ; le barbare blanc, qui a maintenant peur de cet autre barbare comme s’il était venu nous envahir. Est‑ce là le sens de la proposition de Dembélé et de sa Compagnie Rualité ?
Comme d’habitude, la musique est d’une beauté incontestable dans les mains de l’Argentin Leonardo García Alarcón et de sa Cappella Mediterranea, accompagnés par le Chœur de chambre de Namur. L’enthousiasme du public – apparemment, surtout les plus jeunes – a généreusement récompensé le point culminant du spectacle ; la répétition de la danse des Sauvages, mais en montrant le duo des amoureux, caché par la danse pendant la représentation, a été comme une fin de fête.
Peut-être faudrait-il excuser quelques incohérences mineures : l’utilisation excessive du public pour permettre aux danseurs et aux choristes de se déplacer ; des improvisations pour égayer un éventuel ennui ; les lumières, presque toujours trop sombres ; la présence écrasante du double orchestre sur scène ; la confusion entre les personnages des quatre solistes... Ceux‑ci, d’ailleurs, sont excellents : la très jeune soprano lyrique-légère Julie Roset, voix belle, pas très puissante ; la voix de la Portugaise Ana Quintans, qui a une large expérience du répertoire baroque et une voix de grande ampleur ; le ténor lyrique (et parfois léger) Mathias Vidal, avec son sens particulier de l’humour ; le baryton‑basse Andreas Wolf, avec son amplitude d’émission, son expression et sa fougue.
Oui ou non, alors ? Le critique hésite-t-il entre Scylla – on n’est pas assez moderne, hélas – et Charybde – résistance face aux « barbares »... ? Un succès, même s’il fallait faire de nombreuse remarques et exprimer un accord complet (non) ou une contestation (encore moins) face à cette production. Ce n’est pas une équidistance : on est convaincu de la raison du choix, il ne manque que son aboutissement, sans des petits pièges, pour ce spectacle qu’on a pu voir au Teatro Real.
Santiago Martín Bermúdez
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