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Changement dans la continuité Saintes Abbaye aux dames 07/19/2002 - et les 20 et 21 juillet 2002
Saintes, 19 juillet 2002 : arrivée à l’Abbaye aux Dames pour les ultimes concerts des Académies musicales débutées le 12. Le temps, plus que radieux, le charme indéniable de ce lieu magique, l’ambiance qui, cette année, semble particulièrement conviviale font que l’on se sent bien en un instant. Musiciens et mélomanes se côtoient au Bistrot des Amis du Festival, véritable lieu de rassemblement avant et après les spectacles, jusqu’à tard dans la nuit. Etrangement, peu de Saintais osent s’aventurer dans cette ville dans la ville, séparée du centre par la Charente malgré les efforts déployés par les organisateurs (concert gratuit et «bœufs » organisés après le dernier concert du soir)
2002, année charnière, annonce à la fois les trente ans du Festival (une jeune maturité qui a su traverser les différentes crises financières) et le relais de la direction artistique qui passe des mains de Philippe Herreweghe qui l’assurait depuis 1982 à Stephan Maciejwski, à vrai dire déjà responsable de la programmation depuis 1996. C’est dire que le changement se fait dans la continuité.
A sa création, le Festival de Saintes n’était consacré qu’aux musiques anciennes et a d’ailleurs permis une formidable avancée dans ce domaine. A Saintes, tous les pionniers de la musique baroque sont venus un été ou l'autre. L’année 1991 a vu une métamorphose non négligeable se produire : un changement de cap dans son orientation et le Festival s’est alors dénommé «les Académies musicales de Saintes », sous l’impulsion de Philippe Herreweghe, s’ouvrant peu à peu sur de nouveaux répertoires allant de la musique du Moyen-Age à la musique contemporaine. Cela ne s’est pas fait sans mal, les pionniers du Festival vivant mal leur «raison d’être » à Saintes, mais force est de constater qu’en quelques années ce pari d’ouverture a été gagné et, désormais, toute forme musicale a droit de représentation à Saintes ; cette année le répertoire romantique si cher à Herreweghe se taille la part du lion au détriment de la musique baroque. Certains le déplorent encore et peut-être à juste titre.
L’authenticité de l’interprétation musicale quelle que soit l’époque reste le souci des organisateurs de la manifestation avec, bien-sûr, les questionnements, les doutes, les erreurs parfois que cette recherche impose sans faire pour autant l’unanimité. Dix jours de festivités musicales, vingt-six concerts : difficile évidemment d’assister à tout, l’oreille humaine ayant ses limites. Mais la plupart des concerts sont enregistrés par Radio-Classique, ce qui permettra de les écouter plus tard dans l’année.
En ce vendredi 19 juillet, plusieurs événements ont eu lieu, dont nous avons entendu quelques échos, la plupart positifs. Ainsi Andreas Staier, Paul van Nevel, Kenneth Weiss, Igor Romar ont donné des concerts remarqués, même si l’apparition la plus médiatique a été celle de Francois-René Duchâble le 15 juillet qui a bien fait souffrir le pianoforte (trois cordes cassées !) pour le concerto de l’Empereur de Beethoven.
Bruckner, enfin ! Vendredi 19 juillet 2002 (Abbaye aux Dames) Anton Bruckner : Symphonie n°4 en mi bémol majeur, dite «Romantique » (édition Novak 1878/1880) Orchestre des Champs-Elysées, Philippe Herreweghe (Direction musicale) Philippe Herreweghe n’a jamais caché son fort désir d’interpréter une symphonie d’Anton Bruckner. Ce projet longuement mûri prend forme ce soir dans le cadre de l’Abbaye aux Dames dont les voûtes reçoivent pour la première fois cette musique ; La symphonie n°4 que Bruckner a volontairement dénommé «Romantique » a sans cesse été remis sur l’ouvrage entre 1874 et 1880 par un Bruckner doutant en lui et en son œuvre. Même remaniée, la symphonie n’est effectivement pas sans faiblesse, en particulier dans le dernier mouvement où l’inspiration se perd et les redites côtoient des longueurs, du moins jusqu’au finale dont l’impact est indéniable. A la tête de son Orchestre des Champs-Elysées, en résidence à Saintes cette année, Philippe Herreweghe propose de reconstituer un son d’époque en utilisant les instruments les plus adéquats pour atteindre cet objectif (en particulier des cordes en boyau). Il parvient ainsi à réaliser un subtil équilibre entre les différents pupitres de l’orchestre, respectant ainsi les indications et équilibres dynamiques voulus par le compositeur. Difficile de dire si cette expérience nous offre une interprétation à l’identique de celles de 1880, mais force est de constater que l’œuvre se montre sous un jour très différent des exécutions traditionnelles : toute lourdeur est gommée sans que l’intensité et la concentration du son soient atténuées ; l’excès de sentimentalité parfois gênant dans certaines interprétations se transforme en une émotion authentique, volonté certainement délibérée du chef flamand ; les éventuelles longueurs s’intègrent dans une perception du temps modifiée par des tempi assez rapides ; l’impression retenue est exempte de toute uniformité. Herreweghe croît en cette œuvre et nous le transmet parfaitement par l’intermédiaire d’un orchestre en grande forme (y compris les périlleuses interventions des cors). Une expérience émotionnelle d’une grande richesse qui ne nous empêchera pas bien sûr de revenir à d’autres options interprétatives telles que celle du grand Celibidache.
Hersant/Bach Samedi 20 Juillet 2002 (Abbaye aux Dames, 12h30) Philippe Hersant : Aus tiefer Not Johann Sebastian Bach : Kantate BWV 147 Herz und Mund und Tat und Leben Hersant :Christine Plubeau (Viole de gambe), Michel Bourcier (Orgue positif), Chœur de chambre Les Eléments, Joël Suhubiette (Direction musicale) Bach : Carolyn Sampson (Soprano), Gunther Schmid (Contre-ténor), Jan Kobow (Ténor), Thomas Bauer (Baryton), Collegium Vocale, Philippe Herreweghe (Direction musicale)
Le lendemain, le rendez-vous quotidien et traditionnel de midi et demi avec une cantate de Bach permet d’entendre désormais une œuvre de musique contemporaine, ce qui nous offre la possibilité de découvrir une œuvre particulièrement fascinante de Philippe Hersant, l’un des compositeurs les plus intéressants de notre époque. Composé en 1994, Aus tiefer Not, d’une durée assez courte, rend habilement et respectueusement hommage à la musique ancienne en faisant accompagner le chœur par deux instruments de l’époque baroque qui lui sont chers : la viole de gambe surtout dans une écriture très virtuose (qui trouve en Christine Plubeau l’interprète idéale sur le plan technique et musical) et l’orgue positif (malheureusement peu audible lors du concert). Le Chœur de Chambre Les Eléments basé à Toulouse défend du mieux qu’il le peut cette partition difficile à interpréter (à noter des solos soprano très tendus), malgré un travail sur le texte à améliorer et des entrées parfois manquées, peut-être dues à la technique de direction par trop imprécise de Joël Suhubiette. Le Collegium Vocale qui interprète la Cantate de Bach est évidemment d’un niveau supérieur et nous enchante par sa diction idéale, sa musicalité incomparable sous la direction d’un Philippe Herreweghe de retour dans le répertoire baroque auquel il reste attaché. Malheureusement, les solistes déçoivent quelque peu mis à part le soprano radieux de Carolyn Sampson : Gunther Schmid est mal à l’aise, Jan Kobow anémique et Thomas Bauer, excellent musicien, est mal distribué dans une tessiture trop grave pour lui.
Requiem des Roys de France Samedi 20 Juillet 2002 (Abbaye aux Dames, 20 heures) Pavane pour Henry le Grand par les grands haultboys en procession Claude Goudimel : Psaume 130 (Du fond de ma pensée) Eustache du Caurroy : Fantaisie à six sur « Je suis déshéritée » Claude Goudimel : Psaume 137 (Etant assis aux rives aquatiques) Pavane pour le Roy Eustache du Caurroy : Missa pro defunctis Eustache du Caurroy : Trente quatriesme Fantaisie Fanfare pour la proclamation du règne du roi Louis XIII Ensemble Doulce Mémoire : Anne Quentin (Soprano), Marc Pontus (Alto), Lucien Kandel (Ténor), Thierry Peteau (Baryton), Marc Busnel (Basse), Philippe Vallepin (Récitant), Elsa Frank, Jérémie Papasergio, Francis Mercet, Denis Raisin-Dadre (Bombardes et flûtes à bec), Jean Paul Boury (Cornet à bouquin et flûtes à bec), Franck Poitrineau (Sacqueboute), Bruno Caillat (Percussions), Denis Raisin-Dadre (Direction musicale) Ce concert sera le plus controversé du Festival, certains ne supportant la nécessaire austérité de cette reconstitution d’une messe de requiem du début du dix-septième siècle ; austérité n’excluant pas l’émotion, présente du début à la fin, envoûtante même, comme en témoigne la qualité du silence du public pendant la représentation. A partir de la Missa pro defunctis d’Eustache du Caurroy (seule messe retrouvée de cet auteur qui en composa quatre), l’ensemble Doulce Mémoire évoque les funérailles d’Henri IV, faisant précéder la messe par deux superbes psaumes de Claude Goudimel (tenant compte par cet hommage à la musique protestante de la personnalité du Roi Henri IV qui avait appartenu au culte réformé avant qu’il ne l’abjure) et deux pavanes évoquant les musiques accompagnant les processions. Un récitant (l’excellent Philippe Vallepin, à la magnifique projection vocale) entrecoupe la musique de ses interventions, la plus touchante étant assurément l’oraison funèbre prononcée en ancien français et accompagné de la gestique de l’époque. Sur le plan musical, l’interprétation atteint ce soir une rare perfection, la précision du déroulement de la reconstitution étant le témoin d’un travail méticuleux et approfondi ; rarement avons nous senti une si intense connivence entre les interprètes, tous musiciens jusqu’au bout des ongles, ne nécessitant pas l’intervention du chef (le tactus étant indiqué par le ténor).
Récital Jan Kobow Samedi 20 Juillet 2002 (Abbaye aux Dames, 22h30) C.P.E. Bach : Der Tag des Weltgericht Über die Finsterniss Der Morgen Lyda Die verliebte Verzweiflung Rondo en ré majeur K.S.F. von Seckendorff : Lieder sur des poèmes de Goethe : Romanze : Das Veilchen Proserpina I Proserpina II Füllest wieder’s liebe Tal Der Fischer Der König von Thule F.J. Haydn : Original Canzonettas (sur des textes d’Anne Hunter) : The Mermaid’s Song Recollection A Pastoral Song Despair Pleasing Pain Fidelity L. van Beethoven : An die ferne Geliebte, op 98 (textes d’Alois Jeitteles) W.A. Mozart : Abendempfindung KV 523 An Chloe KV 524 Jan Kobow (Ténor), Ludger Rémy (Pianoforte) Il y a peu à dire de ce récital décevant qui ne s’anime qu’en deuxième partie. Le timbre de Jan Kobow est plaisant, avec un aigu qui s’épanouit en montant, mais sa projection est limitée et son interprétation est très limitée dans l’expression (répétitive et donc monotone). Il n’y y a par ailleurs aucune communication avec son laborieux accompagnateur au pianoforte qui réussit même à le couvrir en début de concert. Dommage car le programme aurait pu permettre de découvrir des œuvres rares comme celles de Carl Philipp Emanuel Bach ou Karl Siegmund Freiherr von Seckendorff peu interprétées en récital. Notons quand même une deuxième partie nettement mieux réussie, notamment les canzonettas d’Haydn où Jan Kobow fait là un beau travail sur le texte anglais et réussit à nous intéresser.
Le Concert de Clôture Dimanche 21 Juillet 2002 (Abbaye aux Dames, 20 heures) Felix Mendelssohn-Bartholdy : Psaume 42 (Wie der Hirsch schreit) op 42 Franz Schubert : Messe en la bémol majeur D.678 Carolyn Sampson (Soprano), Ivonne Fuchs (Mezzo-soprano), Jan Kobow (Ténor), Thomas Bauer (Baryton), Collegium Vocale Gent, Chœur de Chambre Les Eléments Orchestre des Champs-Elysées, Philippe Herreweghe (Direction musicale) C’est à la musique romantique qu’il appartenait de conclure les Académies 2002 par un concert un peu décevant, peut-être parce qu’on en attendait trop. A vrai dire, le programme opposant la concision parfaite et poignante du Psaume 42 de Mendelssohn aux divines longueurs de la Messe en la bémol majeur de Schubert était en lui-même quelque peu déséquilibré. Mendelssohn a écrit une œuvre splendide qui offre la part belle à la soprano solo (sublime et touchante Carolyn Sampson) et atteint des sommets dans le chœur final, dirigé avec fougue et force par un Philippe Herreweghe convaincu. C’est indéniablement la partie la plus réussie du concert (le finale sera d’ailleurs donné en bis), malgré une fusion entre le Collegium Vocale Gent et le Chœur de chambre « Les Eléments » posant quelques problèmes techniques, ces derniers moins familiers que les premiers à la gestique assez personnelle d’Herreweghe. La Messe de Schubert souffre de tunnels liés à l’œuvre elle-même, mais aussi à la direction d’Herreweghe, manquant dans cette pièce d’un plus grand sens des contrastes, surtout en ce qui concerne les nuances, trop uniformes, les fortissimi plus bruyants qu’expressifs. Par contre, les solistes formaient un quatuor de première classe, dominé cependant par Carolyn Sampson, décidément une des grandes découvertes de ces Académies, avec son timbre lumineux et sa belle musicalité. Les chœurs savent quant à eux retrouver l’homogénéité qui faisait défaut avant l’entracte.
Nous ne saurions terminer ces impressions (partielles) de Saintes 2002 sans évoquer le Centre Culturel de Rencontres de l’Abbaye aux Dames qui restera, lui, aux mains de Philippe Herreweghe. Ce centre qui, selon le chef, « a pour mission prioritaire la recherche et l’interprétation des musiques classiques et romantiques sur instruments d’époque » permet à de futurs professionnels d’interpréter quelques concerts en formation de chambre ou même en symphonique (deux concerts de ce « Jeune Orchestre Atlantique » auront ainsi fait partie de la programmation). Nous avons ainsi pu assister à l’un des programmes offerts par ces jeunes instrumentistes (diplômés de la promotion 2001) et avons été impressionné par le talent déjà très sûr de l’altiste Dorothée Leclair et de Knut Jacques au piano dans un beau programme Brahms et Schumann.
Site du festival Christophe Vetter
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