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Die Rheinnixen, ou le Festival retrouvé Montpellier Corum - Opéra Berlioz 07/30/2002 -
Jacques Offenbach : Les Fées du Rhin (Die Rheinnixen)
Présenté à Vienne (Hofoperntheater) le 4 Février 1864
Livret de Charles Nuitter, traduit en allemand par le baron Alfred von Wolzogen
Recréation mondiale - Spectacle en version de concert
Regina Schörg (Armgard), Nora Gubisch (Hedwig), Piotr Beczala (Franz), Dalibor Jenis (Conrad), Peter Klaveness (Gottfried), Uwe Pepper (Militaire, Paysan), Gaële Le Roi (la Fée), solistes du choeur (Militaire, Soldat)
Choeurs de la Radio Lettone, Orchestre National de Montpellier Languedoc Roussillon, Friedemann Layer (direction)
Diffusion le 10 Août à 14h30 sur France-Musiques
Quel festin musical extraordinaire avons-nous fait en cette ultime soirée lyrique ! Le Festival de Montpellier renoue avec sa politique artistique, en affichant cette monumentale partition fleuve - un flot torrentiel quasi tétralogique de près de quatre heures, et sublime d’une note à l’autre - de Jacques Offenbach, ce Rossini Français. En effet, il s’agit de la recréation d’une œuvre datant de 1864, commandée pour l’Opéra de Vienne… et ayant sombré dans un gouffre d’oubli total depuis. Exhumation réussie pour le temps d’un session festivalière très contrastée. Ce musicien franco-allemand est encore, par trop souvent, estampillé comme le génial bouffon du Second Empire ; chargé d’esbaudir la galerie, par de plaisants et frivoles divertissements. En l’occurrence, exeunt les calembours rigolos, les cabrioles et déhanchements harmoniques, la parodie caustique (désopilant pastiche de La Juive d’Halévy, dans l’opérette-bouffe L’île de Tulipa Tan) ; ou autres calembredaines burlesques.
Magistrales Fées qui, par-delà un livret tarabiscoté (sombre affaire de vrais faux revenants), dépassent en inspiration et en intensité dramaturgique l’opéra de «jeunesse»presque éponyme de Wagner ! Offenbach, tel un Janus démiurge, y a forgé une vaste légende dramatique, portée par une orchestration d’une coruscance sidérante - démoniaque quant aux cordes -, et une constante inventivité jamais démentie. C’est une tapisserie démesurée héroïco-fantastico-onirique, un visionnaire romantische Oper dans la plus germanique des traditions ; on y goûte des teintes wagnériennes, dont certains thèmes par ailleurs revivront dans Les Contes d’Hoffmann. Ainsi, le scintillant et lumineux prélude est la future Barcarolle, chantée par Nicklausse et Giuletta : leitmotiv elfique qui hante et drape à maints endroits la musique. Une chanson à boire de Conrad, distillée par le baryton cuivré et racé au prénom de chevalier «smetanien», à savoir Dalibor Jenis au timbre de bronze ? Elle deviendra les couplets bacchiques d’Hoffmann, transposés pour ténor : «Au diable celui qui pleure pour de beaux yeux».
Quadruple influence de Schubert (pour la masse chorale - parfaite tenue des chœurs lettons), de Wagner (le final du I se souvient de Lohengrin, sans en constituer un pâle décalque) ; de Weber, l’un des pères fondateurs de l’opéra romantique (les volutes stellaires d’Armgard au troisième acte évoquent l’air d’ Agathe , «Leise, leise»…). Et de Rossini ! A cet égard, l’atypique et complètement fou trio du III, très développé - en somme, presque la moitié de l’acte en cinq séquences -, pour baryton basse, baryton clair et ténor, rappelle sans conteste le trio patriotique entre Walter, Guillaume Tell et Arnold… que ce diablotin d’Offenbach pastichera dans sa Belle Hélène ! En l’espèce, le compositeur a hérissé son enluminure opératique de pièges insensés. Nora Gubisch, révélation de ce cru 2002 (présente également dans Hàry Jànos) confiait lors d’un récent entretien à la presse locale, son appréhension légitime devant le rôle d’Hedwig particulièrement exposé et ardu ; passant allégrement d’un extrême à l’autre d’une tessiture hybride .
Ample mezzo sombre, au timbre moiré, cette superlative cantatrice sait admirablement surmonter et transcender lesdits écueils. Ainsi, elle reste souveraine dans ses hystériques imprécations à la Fricka face a Conrad, à l’acte IV. Ses aigus acérés, lave incandescente, sont propulsés tels des dards venimeux. Idem de toute la distribution convoquée ici ; parmi laquelle l’Armgard extatique - comme irradiée d’un feu intérieur - de la viennoise Regina Schörg. Maestro Layer, dirigeant ce luxueux poème symphonique et choral avec Voix, fait montre de rectitude absolue, notamment dans le ballet du III - ciselé avec le poinçon de l’orfèvre ! Et de renouveler sa prestation exceptionnelle dans Risurrezione, en 2001... Vivement une autre «offenbacherie» rare, telle Fantasio (sans Spirou !) - ou encore Robinson Crusoé.
Étienne Müller
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