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Trop belles pour vous

Montpellier
Corum - Salle Pasteur
07/29/2002 -  

Johannes Brahms : Sonate pour piano et violoncelle en mi mineur opus 38

Ernest Bloch : du cycle "Jewish Life" - Prière, Supplication, Jewish Song

Dmitri Chostakovitch : Sonate pour piano et violoncelle en ré mineur opus 40


Sarah Iancu (violoncelle), Susan Manoff (piano)



On a déjà loué ici la qualité de la programmation des concerts de 12h30 (Fondation Beracasa, cf article sur Dong Hyek Lim) et de 18h du Festival de Montpellier. Comment gommer son «blues» après la véritable ignominie scénique ET musicale, que constitue le Rinaldo haendélien servi en dessert des soirées dites de gala ? S’adonner derechef, et avec joie, à un petit papier louangeur, relatif à un prodigieux duo féminin piano/violoncelle. Susan Manoff, francophile Américaine, n’est pas une inconnue du public. Actuellement professeur au CNSM de Paris, elle arbore un déjà long palmarès d’accompagnatrice et de chambriste. La toute jeune Sarah Iancu est un peu la régionale de l’étape ! De formation locale, désormais deuxième violoncelle solo à l’Orchestre National du Capitole de Toulouse, elle a enlevé en 1997 le Concours International Rostropovitch. Pas mal… Sentiers (broussailleux ou non) de traverse de rigueur ; trouver du Bloch au programme, serti entre Brahms et Chostakovitch, c’est ce qui s’appelle une aubaine.


Dans l’immense Opus 38 de Johannes Brahms, au coloris si sylvestre et embaumé qui rappelle le Trio avec Cor du même, le son de Sarah Iancu va s’imposer, d’emblée, comme une des plus belles moissons de la récolte Montpellier 2002. Encore une fois - il est extrêmement important de le souligner - c’est ici, dans la Salle Pasteur, en début ou en milieu de journée, que le mélomane à l’affût trouve le bonheur qu’il est venu quérir ; certainement pas hélas, à deux exceptions près, lors des soirs bancals du Corum. L’Allegro non troppo est vraiment pris au pied de la lettre, plutôt Andante sostenuto pour tout dire ; ce qui permet aux deux acolytes d’ourler et enchevêtrer leurs phrases enchanteresses avec cette septentrionale intériorité si caractéristique du Hambourgeois - songer également aux Sonates pour piano et violon.


La tendresse - eh oui - est même au menu au cours du Quasi minuetto, ce qui n’est absolument pas exclusif d’une mise en valeur de l’écriture dense, polyphonique, digne de Bach en somme, que le compositeur déploie avec richesse thématique et pudeur jusqu’au dernier accord. Par la grâce de Chostakovitch, on va retrouver une structure très fortement élaborée - et vivement commotionnelle. L’Opus 40 se présente tel un corpus classique de quatre mouvements : Allegro non troppo, Allegro, Largo, Allegro. Derrière la façade se dissimule une grande complexité, car les séquences sont réellement au nombre de six - chacune des deux premières, très développées, se dédoublant. Mais le plus important est la mise en valeur, auprès d’un piano impérial, d’une partie de violoncelle digne du Panthéon instrumental ; et ce dans la plus poignante des humilités.


De surprenants jeux sur les cordes, proches d’un feulement ironique bien digne de leur auteur, portent la marque de son mal-être permanent. Noter une étrange fin de section, faite de notes staccato de l’extrême grave du piano, fondues avec les pizzicati macabres du violoncelle. Manoff et Iancu préparent un moment d’une intensité orante sans égale, à savoir le Largo. Analyser cette page est un défi, et un contresens qui ne peut que lui nuire. C’est une intense et délicate supplique, au sein de laquelle les instrumentistes partagent avec l’auditoire une suffocante prière laïque. Si l’on tient à trouver un comparatif, il faut regarder du côté du Huitième Quatuor du Russe, ou de certains Préludes du Clavier bien tempéré de Bach. Rien à ajouter, on en regrette presque le magnifique Finale ! Après quoi, s’assoupir - rêver peut-être ?


Rêver… à la terre promise, à l’inaccessible étoile ? A un monde meilleur sans doute, comme dans toutes les intenses méditations juives ; le point d’orgue «chostakovien» a été admirablement préparé par Ernest Bloch, avec un extrait du Cycle Jewish Life placé au cœur du programme. Aux antipodes du bruit et de la fureur de Macbeth, tout défie l’exégèse là encore. Ce n’est pas une sonate à proprement parler, malgré la construction en retable à trois volets. Non, qu’on se laisse porter par les titres : «Prière», «Supplication» et «Jewish Song». Trois Adagios successifs, imbriqués et corrélatifs ; trois recueillements en un, véritable écrin pour un violoncelle qui frémit comme un cœur qu’on afflige… Du très grand art. Ovations nourries pour un des duos les plus attachants de la cuvée festivalière - particulièrement Sarah Iancu, au final plus forte individualité encore que Tatiana Vassilieva. Remerciements, aussi, pour un programme dense et fort, original et bouleversant.


On souhaite conclure par un point de bonnes mœurs. A Montpellier plus qu’ailleurs, il est une bourgeoisie du cru qui, non seulement va au concert comme pour choisir une montre Breitling, c'est-à-dire avec hauteur, dédain et componction. Mais qui, au surplus, outre qu’elle enfouit toute manifestation de satisfaction à l’égard des jeunes artistes ; met un point d’honneur, d’une année sur l’autre, à gâcher le plaisir (forcément communicatif) des amateurs enthousiastes. Bien entendu, ce sont les mêmes qui se lèvent et fuient dès le dernier accord, faisant comprendre aux musiciens, avec une rare élégance, qu’ils peuvent nous dispenser de «bis» - tout en dérangeant avec soin les auditeurs encore pénétrés de la magie de la musique. Que ceux-ci manifestent leur joie, et leurs encouragements - des réflexions aigres fusent, méprisantes et cinglantes. A ces hobereaux par trop nombreux, qui ne méritent vraiment pas une si riche programmation et de si valeureuses personnalités, on a envie de répondre : «trop belles pour vous !».




Jacques Duffourg

 

 

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