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Le lied en demi-teinte

Strasbourg
Opéra national du Rhin
03/27/2025 -  et 21 février (Namur), 15 (Zürich), 30 (Boswil) mars 2025
Robert Schumann : Liederkreis, opus 39 – Romanzen und Balladen III, opus 53: 3. « Der arme Peter »
Gustav Mahler : Lieder eines fahrenden Gesellen
Maurice Ravel : Cinq mélodies populaires grecques

Julian Prégardien (ténor), Anna Gebhardt (piano)


J. Prégardien/A. Gebhardt (© Peter Rigaud/Alexey Testov)


On reste d’abord perplexe. La voix de Julian Prégardien, qu’on connaît autrement projetée, s’en tient ici à un volume volontairement réduit, presque murmuré, comme si l’interprète avait décidé de chanter pour lui‑même. Dans l’acoustique mate du Théâtre de Strasbourg, cette retenue vocale passe, mais de justesse. Le timbre, joliment clair, conserve sa beauté, et la diction, limpide, permet de saisir le texte, mais le chant semble à plusieurs moments comme rester à mi‑chemin, d’une expressivité bridée par un souci d’intimité qui tourne parfois à l’effacement.


On peut admettre cette fragilité comme un parti pris, qui contraint à tendre l’oreille, à s’astreindre à une écoute d’une rare concentration. Mais on peut aussi se demander si le chanteur n’a pas tout simplement mal évalué l’acoustique. D’autant que dans les aigus, quelques défauts récurrents apparaissent : une tendance à chanter en forçant légèrement l’émission, qui devient alors tendue et dure. Mais parfois, une autre option est choisie, voix mixte plus subtile, sans qu’on comprenne toujours bien pourquoi tel ou tel passage appelle une solution technique plutôt qu’une autre.


Anna Gebhardt, en pianiste attentive, compose avec ces fragilités. Son jeu, feutré, détaillé, dessine les atmosphères avec tact et intelligence, sans jamais couvrir le chanteur, sauf peut‑être dans Mahler où, en l’absence d’orchestre, la partie de piano doit nécessairement gagner en densité, ce qui engendre un déséquilibre. On sent une complicité réelle, mais aussi une prudence mutuelle, comme si l’un et l’autre évitaient de trop s’aventurer.


Le Liederkreis opus 39 de Schumann, écrit en quelques semaines au printemps 1840, au cœur de la lutte du compositeur pour épouser Clara Wieck, est une œuvre d’une richesse poétique inépuisable. Schumann y alterne moments lumineux et sombres, structurant le cycle en deux moitiés, chacune se terminant sur une note d’espoir. Chez Prégardien, l’interprétation épouse cette architecture, mais en format réduit. Certaines pages manquent d’élan, d’autres touchent juste, comme « Mondnacht », suspendu, d’un souffle long et souple, ou « In der Fremde », où la voix blanche d’entrée de jeu suggère une lassitude poignante. Mais tout le cycle ne tient pas sur ce fil : certains lieder, comme « Frühlingsnacht » ou « Schöne Fremde », exigeraient une vitalité, une densité de timbre que Prégardien n’atteint pas.


Après l’entracte « Der arme Peter », triptyque grinçant sur le sort d’un amant délaissé, trouvent un écho immédiat dans les Chant d’un compagnon errant de Mahler. Mais dans ce dernier recueil, les limites vocales deviennent problématiques. Mahler appelle une projection, un désespoir extériorisé, presque oratoires. Prégardien, malgré son engagement poétique, peine à habiter ce registre plus dramatique. La voix sonne étroite, le souffle manque parfois. L’intention est là, mais le résultat reste inabouti.


Prégardien se tourne ensuite vers Ravel, avec les Cinq mélodies populaires grecques, interprétées dans un français relativement idiomatique, en tout cas courageux. Un hommage touchant au génie de Ravel, même si on sent l’artiste en terrain peu familier. En tout cas les climats paraissent scrupuleusement différenciés, et les inflexions expressives témoignent d’un vrai souci de caractérisation.


Première livraison de bis avant l’entracte, ce qui est peu courant : Viens ! de Mel Bonis, Lorelei de Clara Schumann et « Ich wandle unter Blumen » d’Alma Mahler, donc un encart féministe, d’ailleurs présenté par l’artiste en tant que tel aux cours de quelques phrases explicatives, dans un français aventureux et sympathique. Et puis, en clôture, deux Schubert bien de saison, Im Frühling et Frühlingsglaube, qui nous rappellent combien Prégardien excelle lorsqu’il reste dans son répertoire d’élection : avant tout celui de la confidence d’un lied introspectif, finement modelé dans le souffle et la ligne.



Laurent Barthel

 

 

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