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Euphorie et euphonie concertantes

Montpellier
Corum - Opéra Berlioz
07/26/2002 -  

Wolfgang-Amadeus Mozart :

Concerto pour piano et orchestre n° 9 en mi bémol majeur

Concerto pour deux pianos et orchestre n° 10 en mi bémol majeur

Concerto pour violon et orchestre n° 3 en sol majeur

Symphonie concertante pour violon et alto en mi bémol majeur


Maria-Joao Pires, Caio Pagano (pianos Yamaha)
Augustin Dumay (violon)
Gérard Caussé (alto)
Ensemble Instrumental de l'Orchestre National de France, Howard Griffiths (direction)



Dans l'attente des Fées du Rhin le 30 Juillet (Rinaldo n'étant pas une production du Festival, mais bel et bien des Opéras de Montpellier), ne pas chercher plus loin l'événement 2002. La billetterie a du reste explosé, pour ce Grand Soir concertant et mozartien ; et les demandes de places ont été depuis longtemps rejetées. Pour sa troisième apparition montpelliéraine, Maria Joao Pires eût pu être plus mal entourée, qu'on en juge : Dumay, Caussé, Pagano. Plus le chef anglo-suisse Howard Griffiths - déjà remarqué récemment à la Maison de Radio-France avec le même orchestre, en un superbe programme Stuppner-Bantock-Roussel.


Parlons un peu de l'orchestre, justement. Griffiths a opté pour une formation da camera stricte : véritable plan social pour l'effectif, réduit au strict minimum ! Deux cors, deux bassons, deux hautbois pour les vents ; une contrebasse, trois violoncelles, quatre altos, cinq deuxièmes violons et six premiers pour les cordes. Posologie idéalement adaptée à ces Concerti ; et très intéressante du point de vue de la fameuse «historicité» dont on nous rebat les oreilles. Le chef dispose d'une potion magique, non point pour cogner, mais pour oindre. Ce qui nous exempte - enfin - des pétarades de temps à autre imposées par les ensembles dits baroqueux, histoire de «faire vrai».


Howard Griffiths ne fait ni du vrai ni du faux : il fait du Mozart, le sien, et c'est aussi simple que cela. On l'entend dès l'énoncé du premier thème du KV 271 «Jeunhomme», en mi bémol, répondant à l'entrée scandée du piano ; ni grâce mièvre ni raideur, les musiciens respirent sans corset. Déterminée et tendre est la réplique de Pires ; délicate et précise la broderie dont elle ourle la partition. La précédente soirée dans cette superbe salle nous avait donné un parfait exemple du non-charisme, et du vide en musique (Brigitte Hahn, La Donna del Lago). Avec la pianiste portugaise parvenue à la très grande maturité (après de nombreuses vicissitudes de santé), c'est exactement le contraire : l‘aura est évidente dès l'arrivée auprès du Yamaha - avant que le concert ne commence, même. Et par une seule touche effleurée, un monde sonore entier se crée, se délite ; et se refait. Depuis des lustres reconnue dans le répertoire mozartien (deux intégrales des Sonates, Denon puis DGG, déjà), Maria Joao Pires - quoique naturellement menue - s'attache toujours à se rendre plus humble, plus discrète, presque plus effacée derrière le Salzbourgeois.


C'est tout naturellement ce qu'on appelle la grâce, en lieu et place de la froide technique et du haïssable ego. Mais son service de la Muse n'est ni pâleur, ni inhibition. L'Andantino et le «génial» cantabile interpolé dans le Finale le prouvent assez, tant elle poursuit avec certitude la glane du blé en herbe, en parfaite osmose avec un National une fois de plus au-dessus de tout éloge. Débarrassé de la grenouille voulant se faire aussi grosse que le boeuf, et confié cette fois à un authentique chef, l'ensemble parisien rutile, ronronne, se love ; et jouit sans retenue des soupirs et des sourires «pirésiens». Difficile dès lors de contenir son émotion, surtout avec un Concerto pour deux pianos (rarissime en salle) en feu d'artifice impressionniste, dans lequel son confrère et ami brésilien Caïo Pagano lui donne brillamment la repartie. Transcendant de technique, d'une inventivité thématique marathonienne, nourri d'une beauté mélodique inépuisable ; ce joyau voit son Rondo final bissé ; exactement comme à l'époque de Mozart, l’auditoire huppé se faisait redonner les morceaux de choix.


On se prend à songer à quelques perles discographiques : Perahia-Lupu (Sony) ; et surtout Haskil-Andà (EMI, un trésor absolu). Et d'un seul coup, la comparaison s'impose, évidente, naturelle, poignante : personne ne nous a joué (au sens des Variations sur «Ah ! vous dirais-je Maman», chez DGG) Mozart de la sorte, depuis la grande Clara. Rappelant les mânes de Tatiana Nikolaïeva lors de sa première écoute de la mythique Roumaine - Vingtième en mineur, dirigé par Karajan à Salzbourg en 1960 -, l'auditeur n'a pas d'autre de choix (telle Charlotte) que de laisser couler ses larmes. Concernant les rendez-vous de vingt heures du présent Festival, il n'était que temps !


Maria Joao Pires s’est souvent produite avec Augustin Dumay ; à Montpellier, quelques jours auparavant dans ce même lieu (Sonates de Beethoven). En deuxième partie, au violoniste de mettre en avant ses talents concertants certains. Avouons-le, il n’a pas toujours convaincu, et l’agrément n’en est que plus grand, lors de cette soirée historique. Choisir le Troisième pour violon KV 216 est on ne peut plus judicieux, les Quatrième et Cinquième étant plus courus. Gilles Apap a enregistré le présent sol majeur pour la vidéo, d’une manière extraordinaire - avec une cadence de troisième mouvement totalement déjantée -, bien propre à passer un peu d’encaustique sur Mozart. Dumay, c’est exactement le contraire : tout son jeu n’y est qu’introversion, méditation, sublimation. Aux côtés d’un Griffiths toujours aussi précis et poète (les deux sont donc possibles !), le Français pourtant ne néglige pas la rondeur opulente du son, et fait rayonner sans hésitation la chanterelle. Et de mettre en valeur, une fois de plus, l’acoustique hors pair du Corum… Seulement, le maniement s’est profondément intériorisé, à l’image de Pires elle-même, si l’on y songe bien. C’est au cours de l’Adagio - et de la fin de celui-ci, meurtrie, assourdie et comme mourante - que l’auditeur vit un nouvel acmé. A telle enseigne que la trépidation sans relâche du Rondo est la bienvenue pour rompre la tension nerveuse. L’intermède marqué Allegretto devient même une péroraison, une démonstration de joie dansante pure. Un modèle !


Malgré la durée très élevée, le concert semble s’écouler tel un songe balsamique. Ce n’est pas, pourtant, par une oeuvrette qu’il va se conclure ; et il va appartenir aux artistes de nous faire conquérir d’autres espaces oniriques. La Symphonie Concertante KV 364, partition absolument fondamentale de Mozart, souffre moins que d’autres pages peut-être la moindre particule d’élémentaire médiocrité. C’est donc avec plaisir que l’on accueille Gérard Caussé, chantre de l’alto (de son superbe instrument jaillit une origine du son - une psophos - proprement métaphysique), quand on eût pu endurer un altiste en noir et blanc comme lors de la soirée Steinberg (Yuri Bashmet). A Howard Griffiths de donner l’ampleur alla francese qui sied à l’Allegro maestoso, sans se départir de la netteté qu’on attend d’un orchestre de chambre sans bourrelets dix-neuviémistes. Jusqu’à l’ivresse, le chef tisse le drap nécessaire à l’accomplissement du duo violon-alto ; qui, dans ce chef d’œuvre, se présente toujours - splendeur mozartienne - comme les mille et une facettes de l’amour en musique. Moins crûment sexuel que Vengerov dernièrement au Châtelet, Dumay joue davantage de la caresse, à laquelle Caussé répond par des ronronnements de chat. L’appariement des deux sonorités est si réussi qu’il crée des abîmes de sensualité, évoquant à merveille le sublime duo Pamina-Papageno «Bei Männern und Weibchen».


Durant l’Andantino, sommet de l’âge classique - écrit avec la sensibilité française et la tectonique de l’École de Mannheim mêlées -, c’est d’une tendresse redevenue chastement complice qu’il s’agit. Les accords poignants des solistes et de l’orchestre, fondus sans être jamais artificiellement opposés, nous emportent cette fois-ci vers un autre complicité, féminine : le «Scrivi…» entre la Comtesse et Suzanne ! Mais en beaucoup moins frivole ; rêche, anxieux même - et c’est un nouveau sommet gravi. Le Presto fébrile, tenu de main de maître par Howard Griffiths, est une nouvelle démonstration de frénésie, de corps-à-corps et d’abandon. La clarté lumineuse reste si éclatante malgré la surabondance du matériau, que c’en est un défi aux règles de la physique… Un concert d’une telle élévation justifie l’existence d’un Festival entier à lui seul. Il suffisait d’y songer : pour panser les plaies des quelques ratés précédents, le seul vrai remède restait l’immersion dans l’essence même de Mozart. A savoir, préférer les gens aux notes - comme aurait dit Lily Laskine.



Jacques Duffourg

 

 

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