About us / Contact

The Classical Music Network

Montpellier

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Brigitte, bonnet d''Hahn

Montpellier
Corum - Opéra Berlioz
07/23/2002 -  

Gioacchino Rossini : La Donna del Lago (La Dame du Lac)

Livret d'Andrea Leone Tottola d'après Sir Walter Scott

Juan Diego Flórez (Giacomo/Uberto), Brigitte Hahn (Elena), Daniela Barcellona (Malcolm), Gregory Kunde (Rodrigo di Dhu), Nicola Ulivieri (Douglas), Karine Deshayes (Albina), Franck Bard (Serano, Bertram).

Choeurs de la Radio Lettone,
Orchestre National de Montpellier Languedoc Roussillon, Riccardo Frizza (direction).

Spectacle en version de concert



Présentée comme l'un des moments forts du Festival de Montpellier 2002, cette version de concert de La Donna del Lago aura mérité, pour le moins, un accessit. Vocation même des lieux, la remise à l'honneur des pans entiers de répertoire omis (à condition qu'il ne s'agisse pas de la Symphonie de Wagner…) sied aux opere serie de Gioacchino Rossini. S'ils sont plus familiers aujourd'hui que dans les années soixante, au moins par leurs titres, aux oreilles des mélomanes ; on n'en fera jamais assez pour les donner à goûter au plus large public possible, n'est-il pas vrai ? René Koering offre au compositeur, dans l’Opéra Berlioz à l'acoustique si parfaite, une distribution alléchante pour l'un de ses opéras les plus originaux : on en salive d'avance. Gregory Kunde, en effet, pratique avec prestance ce domaine depuis de longues années ; et l'affiche comporte aux côtés de Brigitte Hahn - une habituée du festival désormais, de Donizetti à Franz Schmidt - une paire majeure : Daniella Barcellona... et Juan Diego Flórez. Les deux étaient de la série de Pesaro 2001 (Barcellona remplaçant Podles au pied levé), aux côtés de Mariella Devia et Charles Workman, dans la même oeuvre.


Inspirée de Walter Scott, adaptée par Tottola, cette Dame du Lac présentée au San Carlo de Naples en 1819, contribuera, à la suite de l'Élisabeth reine d'Angleterre de 1816 - même compositeur, même théâtre - à lancer la «mode» de l'anglophilie dans la tradition du bel canto «romantique». Beaucoup d'Élisabeth chez Donizetti, même en Sibérie ; de Pacini, on a un Ivanhoe ; chez Bellini, chantent des Puritains dits (faussement) d' «Écosse». L'Écosse rossinienne, elle, est plausible - et particulièrement bien troussée : point besoin de kilt pour y croire. Le public parthénopéen dut même ressentir quelque tracas devant l'opulence cuivrée (entre deux et six cors) d'un orchestre d'effectif raisonnable. Très important : la prima donna Isabella Colbràn, maîtresse de Domenico Barbaja l’impresario, comme de… Rossini, en créant Elena, devait déjà amorcer son déclin ; car, quelque brillant et irrésistible que soit son Rondo final célébrissime «Tanti affetti», sa partie est techniquement modeste, et fort centrale. Au musicien de s'assurer la collaboration de ses deux ténors fétiches, Davidde et Nozzari (du plus aigu au plus barytonnant) ; et de s'embarquer non pour Cythère, mais vers les brumes des Loch, et un univers forestier... aussi peu napolitain que possible.


Autre chose : The Lady of the lake de Sir Walter Scott a connu d'autres adaptions en musique, dont une au moins a fait le tour du monde, pour le meilleur et surtout pour le pire : l'Ave Maria de Schubert, troisième des sept Ellens Gesänge. En outre, Tottola est allé grappiller des inspirations connexes, non sans bonheur, chez James McPherson (Les Poèmes d'Ossian - mais oui, ceux-là même de Werther…). Voilà donc une position géoculturelle et historique des plus intéressantes. Mixte (écossaise, nordique pour le moins, quant à l'inspiration - mais techniquement italienne tout de même), l'oeuvre jouit d'une orchestration soignée, riche, variée, au coloris très finement septentrional. Tiens donc : deux années plus tard, un certain Carl Maria von Weber «fondera» littéralement le genre de l' «opéra allemand» avec Der Freischütz (guichets fermés, triomphe complet). C'est d'autant plus troublant que bien des teintes wébériennes sont déjà présentes dans la palette du peintre pésarais ; que les concertos de Weber - surtout pour clarinette - sont les plus «rossiniens» que l'on connaisse ! Et enfin, qui est l'un des pères fondateurs du grand opéra... français, sinon Rossini lui-même, par le biais de Guillaume Tell ; dont la couleur locale (helvétique cette fois) est en gésine dans le présent Loch pour belle Hélène mélancolique ?


Le canevas n'est guère folichon. Il s'agit encore et toujours de guerres, d'amours contrariées, de jalousies ; de frictions, d'exils et de souverains cléments. Lieto fine de rigueur : pas l'essentiel, on s’en doute. Par contre, la quasi-omniprésence du choeur, dont toutes les ressources sont admirablement traitées, est une grande nouveauté belcantiste. Elle marquera tellement les esprits du XIX° siècle, que Stravinsky s'en souviendra encore pour son Oedipus Rex, sans doute, via les Scènes de Faust de Schumann ! Un défaut : le déséquilibre entre les deux actes, le premier étant près de deux fois plus développé que le second. Pourquoi en avoir, dès lors, retranché la chanson «Aurora ! Ah sorgerai» de Giacomo-Uberto, qui nous eût été susurrée par Juan Diego Flórez ? Mystère programmatique. Peut-être un choix incompréhensible du chef Riccardo Frizza, de qui l’on a reçu autant de caresses que de coups de règle. Au crédit : une grande lisibilité des plans, une mise en valeurs hors pair des cuivres ; ce qui n’est pas gagné d’emblée. On aime aussi l’écoute portée aux artistes durant l’acte I, et une bonne conduite du si retors crescendo rossiniano (cabaletta de Malcolm «O quante lagrime»). Le Finale est splendidement équilibré. Parfait. Pourtant, au retour des vestiaires, ce sportif de la baguette a des démangeaisons de sprint ! On l’a dit, le II est déjà très court : c’est ennuyeux de hâter les choses.


D’autant que cela va de pair avec une croissance du volume regrettable (travail au décibel - la huitième plaie d’Égypte des maestri actuels), ainsi qu’une grande sécheresse de battue (même remarque). Pire : des chanteurs, et même les admirables choristes de la Radio Lettone en état de grâce, en deviennent couverts. Pas de rémission, on est emporté à marche forcée vers le Rondo conclusif, comme au commissariat. La partition est littéralement expédiée : pulsation solennelle (et intime pourtant) du début boutée hors du Corum, la floraison de tendresse élégiaque dans «Fra il padre, e fra l’amante» devient un passage de tondeuse à gazon. Difficile de finir davantage en queue de poisson, avec ou sans lac. On a louangé les Chœurs lettons, habitués de Montpellier, auteurs d’une véritable performance dans les passages de grâce (avec la harpe) comme les envolées militaires ; parlons maintenant du plateau. Star désormais reconnue et attendue de pied ferme, Juan Diego Flórez, en roi Giacomo, vêt les oripeaux d’Uberto - en l’occurrence des habits de fête ! La luminescence suave et virile du timbre, la projection sans faille, la ductilité de la quinte aiguë ; la technique irréprochable, la capacité à jouer un tant soit peu, même en concert… Tout ne fait que confirmer le bien que l’on connaît déjà de lui en France (L’Italienne à Alger, Falstaff, bientôt Cendrillon…). On retrouve bien sûr avec joie «O fiamma soave», qui figure déjà dans son récital Decca pour l’île déserte.


Ceux qui le découvrent s’enthousiasment à bon droit ; ceux qui le connaissent bien, après cette ivresse promise et accordée, ont envie de lui demander encore un petit effort de personnalité, d’émotion ; dans l’émission parfaite, dardée - mais un poil monotone - de ses aigus, à partir du si. C’est très difficile : nul doute qu’il y parviendra ! Si son triomphe, archi-mérité, est somme toute logique, il y a d’autant plus d’intérêt à s’attarder sur une mezzo encore peu connue chez nous ; et qui a bien failli lui rafler la mise. Daniella Barcellona, très jeune elle aussi, s’impose sans coup férir en Malcolm. Le timbre est beau et égal sur une grande longueur de tessiture ; à cette homogénéité (qu’on querrait bien en vain chez Von Stade, la Larmore actuelle - voire Kasarova) s’ajoute une désinvolture épatante dans la technique. Souffle long, messa di voce raffinée avec une puissance non négligeable : c’est du caviar vocal, non sans évoquer une Valentini-Terrani en plus corsé. Accordons-lui de surcroît une présence théâtrale, un investissement de tous les instants dans un sourire confondant. Des aigus encore un peu verts mûriront avec les ans : peut-être a-t-on, enfin, le mezzo héroïque rossinien que l’on recherche - malgré Podles, Blythe, Genaux - depuis le retrait de Marilyn Horne ? Très impressionnant, vraiment. Gregory Kunde s’impose sans difficulté, en particulier dans son air terrible «Eccomi a voi, miei prodi», véritable et crucifiante ébauche du «Terra amica» de Zelmira. Certes, les aigus sont un peu tirés, et le moelleux bien terni ne met que davantage en avant le caractère exceptionnel de son rival péruvien dans Rossini. N’empêche, c’est bien mieux qu’honorable !



Même remarque pour Nicola Ulivieri (Douglas), se sortant très correctement d’un air de basse coloratura à chausse-trappes, «Taci ! lo voglio», dont Samuel Ramey fit nos délices. On repère avec plaisir la triomphatrice du Concours des Voix Nouvelles 2002, Karine Deshayes, si exquis marmiton dans la Rousalka de Bastille… et attendue à Garnier dans Juliette ou la clef des songes de Martinu. Son petit rôle d’Albina est tenu avec bien plus que de la classe ; de plus elle résiste à quelques assauts bruyants de Frizza : bravo ! Est-ce parce qu’il joue les utilités que Franck Bard se sent obligé de «faire la tête» toute la soirée ?! Cela n’ajoute rien à une existence vocale proche du zéro. Mais au fait, autour de qui tous ces personnages s’activent-ils ? Il existe bien une Dame du Lac dans le titre, sacrebleu… Force est d’admettre avec consternation que Brigitte Hahn s’y est noyée. Son problème numéro un est une absence totale et irrémissible de charisme ; ce qui eût pu rattraper le souci numéro deux, l’inexistence de la technique, dans une vocalité ululante à partir du la. Ne parlons pas de l’ut ! Troisième handicap : la laideur de la voix ; monochrome, mate, expressive comme un ronronnement de machine-outil. Ce n’est pas tout : elle n’interprète rien, cette Dame. Un roi se révèle à ses yeux (en principe) éblouis : elle ne bronche pas plus que la Vénus de Milo. Duos, ensembles et Finale du I sont déroulés comme la liste des commissions, vocalises «savonnées» en prime. Le «Tanti affetti», caqueté dans le vide avec un air méchant, mérite bien son titre : on ne pensait pas vivre tant de dures émotions, en effet. Un gâchis unilatéral.





Jacques Duffourg

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com