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Un Extrême-Orient très épicé

Montpellier
Le Corum - Salle Pasteur
07/24/2002 -  

Frédéric Chopin :

Ballade n° 1 en sol mineur opus 23

Mazurkas, opus 59 n° 1, 2 & 3

Préludes, opus 28 n° 13 & 18

Sonate n° 3 opus 58 en si mineur


Dong Hyek Lim (piano Steinway)




A la mi-parcours d'un Festival de Montpellier 2002 mitigé, et le jour même d'un nouveau désastre « minkowskien » (Wagner, Beethoven) à l'Opéra Berlioz, on est un peu tenté de piquer de l'aiguillon en empruntant les chemins de traverse. Savoir, les remarquables séries de 12h30 (que M. et Mme Beracasa soient ici ardemment remerciés, au travers de la Fondation qui portent leur nom), ainsi que les concerts de 18h. Notons au passage que ces manifestations sont gratuites, ce qui est à l'honneur de la Ville, du Département, de Radio-France... et du service public. Le mélomane exigeant, à la date du 24, a retenu que pour l'instant seul Myung-Whun Chung avec son Orchestre Philharmonique de Radio-France - et sa soeur Kyung-Wha au violon - a su porter les soirées au climax digne de leur renom. Même la rossinienne Donna del Lago tant attendue n'a pas - il s'en faut de beaucoup - atteint les cimes promises !


En revanche, festin à tous les étages, donc, dans ce qu'on pourrait nommer le Festival « Off ». D'Olga Kern (Scriabine, Messiaen...) à Maria-Joao Pires et Augustin Dumay (Beethoven), en passant par le Quatuor Kocian - extraordinaires vêpres solennelles en l'honneur de la musique tchèque, dont Schulhoff et Haas - et Alexandre Tharaud ; sans oublier Tatiana Vassilieva et Pascal Godart (violoncelle et piano) en un Britten de référence : rien à jeter. Le niveau est tellement superlatif, et prometteur pour l'avenir car beaucoup de ces artistes sont très jeunes, que l'on se prend à s'accoutumer à quelque routine du sublime. Comme lors de la traversée de la toute proche Corniche des Cévennes (avec ou sans âne), par exemple. On pardonne même quelques erreurs d'impression dans les programmes, dès lors qu'alternent raretés - l'esprit de Montpellier - et pierres de touche, avec un tel bonheur.


Par conséquent, l'appétit est fort aiguisé lorsque la Salle Pasteur du Corum propose pour l'un des midis musicaux de la Fondation Beracasa, un programme Chopin confié au jeune Coréen Dong Hyek Lim. Ce talent tout frais, poulain de Martha Argerich, a rapidement été remarqué par les fins limiers d'EMI. Lauréat du Concours International Ferrucio Busoni (2000), Premier grand prix du concours Long-Thibaud 2001; déjà adulé à la Roque d'Anthéron... Diantre : voilà du pedigree ! A tel point qu'on se méfie a priori : les concours nous ont tellement déversé de singes savants et de rossignols mécaniques, de machines bien huilées et éphémères, que la prudence prévaut. D'autant plus que le menu propose une seule relative audace (la Troisième Sonate, somme toute peu courante) à côté de pièces prestigieuses et galonnées.


La Première Ballade donne le ton d'emblée. Le « gamin » n'a rien d'ostentatoire, il est même aussi sobre et concentré que sa pâte sonore est pleine et généreuse. C'est à la vérité la première fois qu'on entend le Steinway local résonner avec tant de splendeur moirée. Un peu comme Nicholas Angelich, le Coréen joue du Chopin tout neuf, tout dépoussiéré ; et surtout s'abstient (tel Alain Planès) de mettre du legato partout, surtout là où il n'en faut pas - travers fréquent des étudiants surdoués. Les raptus n'en sont que davantage mis en évidence - et les doigts encore juvéniles creusent des sillons macabres bienvenus dans le Presto con fuoco. Salle coite, puis tonnerre d'applaudissements. Logique : le public a repéré que, pour une fois, le technicien virtuose a aussi bien plus qu'un ego : une âme.


C'est ce qui va ressortir, jusqu'à l'insoutenable, des trois Mazurkas et des deux Préludes qui suivent. On est tout ébaubi de trouver chez un garçon si jeune - et de culture extra-européenne - un accomplissement intérieur à ce point enclin à déchiffrer, puis raffiner, le voyage intime du Polonais. Bien chaloupées et avec ce qu'il faut de rubato, les premières ont un mal du pays qui s'abstient de toute recherche décorative. Elles eussent peu, en de telles mains, avoir été écrites par Modeste Moussorgsky ! Aux deuxièmes d'asséner la commotion que les festivaliers réclament à bon droit depuis l'ouverture des « hostilités ». L'obsessionnel N° 13 en fa dièse majeur noue l'estomac sans ambage, avec un son bas et lourd pesant comme un couvercle. Ce « ressenti de la mort », et l'appel de la tendresse - son corollaire -, sont encore une fois si développés chez Dong Hyek Lim que le N° 18 en mi bémol mineur, amphore déversant un âpre nectar mozartien, schumannien, « deliusien » même, achève de clouer l'auditeur sur son fauteuil.


Il est rare de se surprendre à essuyer quelque larme furtive à l'écoute d'un lauréat de concours. C'est pourtant ce qui se produit, on l'avoue sans aucune gêne. Et la Troisième Sonate, de structure si haydnienne ; mais si personnelle, si dense et intime, de s'enchaîner sans vraiment offrir de répit. Car le jeune homme est également endurant, et cherche aussi peu la facilité que l'esbroufe. C'est même un sentier très broussailleux qui nous est proposé, y compris dans le Largo introspectif et ténébreux. Complétant un Finale magistral, aussi coupant qu' haletant, auréolé d'une main gauche en embuscade à la Pludermacher ; puis des acclamations que l'artiste reçoit avec une modestie crédible ; deux bis vont à nouveau répandre pudeur, émotion - et humour. La Berceuse, telle le joueur de vielle du schubertien Voyage d'Hiver - baume apaisant après le malaise intérieur -, par opposition assène un dernier choc. A la péroraison pleine de malice d'un Haydn, de permettre à Dong Hyek Lim de prendre congé avec détachement tout oriental, devant un auditoire partagé entre le délire et le recueillement.


Indubitablement, un artiste hors pair. On prie pour qu'il devienne le nouveau Jorge Bolet que le piano du troisième millénaire réclame à cor et à cris.





Jacques Duffourg

 

 

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