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Un Pelléas peu mémorable

Paris
Opéra Bastille
02/28/2025 -  et 4, 9, 12*, 15, 18, 20, 25, 27 mars 2025
Claude Debussy : Pelléas et Mélisande
Huw Montague Rendall (Pelléas), Sabine Devieilhe (Mélisande), Gordon Bintner (Golaud), Jean Teitgen (Arkel), Sophie Koch (Geneviève), Soliste de la Maîtrise de Radio France (Yniold), Amin Ahangaran (Un médecin, Un berger)
Chœurs de l’Opéra national de Paris, Alessandro Di Stefano (chef des chœurs) Orchestre de l’Opéra national de Paris, Antonello Manacorda (direction musicale)
Wajdi Mouawad (mise en scène), Emmanuel Clolus (décors), Emmanuelle Thomas (costumes), Eric Champoux (lumières), Stéphanie Jasmin (vidéo), Charlotte Farcet (dramaturgie)


H. Montague Rendall, S. Devieilhe
(© Benoîte Fanton/Opéra national de Paris)



Fallait-il, après la légendaire production de Bob Wilson, mettre à l’affiche un nouveau Pelléas et Mélisande ? Dangereux défi, que l’Opéra de Paris n’a pas relevé. On pouvait, il est vrai, légitimement penser que Wajdi Mouawad, authentique homme de théâtre, renouvellerait notre approche de l’œuvre. Malheureusement, la vision manque, il ne nous offre qu’une lecture parmi d’autres – son Œdipe inspirait la même réserve.


On aime néanmoins, d’emblée, à travers la forêt, l’atmosphère très symboliste que crée la vidéo de Stéphanie Jasmin, parfaitement accordée au drame, avec la présence perpétuellement suggérée de la nature, de l’eau ou de la terre – on pense au travail de Bill Viola pour le Tristan et Isolde de Peter Sellars, surtout quand l’on voit Mélisande, telle Ophélie, au fond de l’eau. Le metteur en scène restitue ici tout le symbolisme de Maeterlinck, ses pénombres indécises, grâce aussi aux effets de clairs obscurs crées par les lumières d’Eric Champoux. La mort rôde partout, dès le début à travers cette créature mi‑homme mi‑bête transpercée d’une lance – l’animal atteint par le chasseur Golaud... ou, qui sait, lui‑même. Des cadavres d’animaux jonchent le sol, d’où émergera, à la fin, Pelléas.


Mais les touches naturalistes semblent parfois presque irréelles, rien n’est asséné dans cette création d’un univers fantasmé, presque irréel, où les personnages ne parviennent jamais à communiquer. Ils passent à travers un rideau de fils, apparaissant et disparaissant, comme en quête de quelque chose ou de quelqu’un qui n’existe peut‑être pas. La production suit fidèlement la lettre et l’esprit du texte de Maeterlinck et de la musique de Debussy. On s’étonne d’autant plus des noces mystiques de la fin, pour le coup totalement déconnectées, lorsque les deux amants s’élèvent vers le ciel en une sorte d’assomption.


Une sensation de frustration, cependant, nous gagne très vite. Parce que les personnages semblent esquissés plus que dessinés, parce que le directeur de la Colline peine à les faire vivre, faute d’une direction d’acteur plus tendue et plus inventive, comme s’il était, au fond, pris au piège de la littéralité, voire de la timidité scrupuleuse de son approche. Les trois premiers actes suscitent l’ennui. Les deux derniers, où un peu de vie s’installe, laissent une meilleure impression : si la violence de la scène de folie de Golaud semble émoussée, la scène d’amour est très réussie, pleine de finesse suggestive.


Cette finesse suggestive ne caractérise pas moins la direction d’Antonello Manacorda, qu’on avoue ne pas avoir attendu ici. Les premières mesures distillent une poésie sombre et mystérieuse, avec un orchestre en état de grâce, adhérant totalement au travail sur la mélodie de timbres. On n’entend pas toujours ainsi l’orchestre de Pelléas. L’Italien, du coup, a tendance à sacrifier la tension à la couleur, oubliant parfois la conduite du drame, contraint peut‑être par un plateau mal composé. La production, en effet, pèche surtout par les voix. Que l’Opéra de Paris n’ait pas su trouver un cast pour une telle partition laisse assez pantois.


On ne confie pas un rôle aussi central que Mélisande à un soprano lyrique léger tel que Sabine Devieilhe, magnifique artiste, suprêmement musicienne, égarée ici. A partir du médium, la voix se perd au milieu de la grande nef de Bastille et l’on ne parvient pas à cerner cette Mélisande évanescente, aux airs de poupée Barbie. Cela pourrait sans doute passer dans des salles plus modestes, auxquelles d’ailleurs Pelléas est naturellement destiné. Saluons l’articulation et la ligne châtiées de Huw Montague Rendall, fils de David Rendall et de Diana Montague, baryton clair assumant les aigus du rôle, tout en regrettant qu’il n’en creuse pas assez les mots.


Gordon Bintner, en revanche, n’a rien d’un Golaud, avec son timbre trop proche de celui de son demi‑frère, ses graves sans chair, son français honorable mais atone, chanteur honnête auquel échappe la dimension ténébreuse, sinon la noirceur, du personnage. Sophie Koch, que l’on n’a jamais connue grande diseuse, n’est en rien faite pour Geneviève et la lecture de la lettre de Golaud. Si bien que l’on se souvient d’abord de l’Arkel de Jean Teitgen, qui en a les notes et les mots, la profondeur et la noblesse. De quoi confirmer, s’il en était besoin, que quelque chose ne va vraiment pas dans ce nouveau Pelléas.



Didier van Moere

 

 

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