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De Perrault aux tréteaux Paris Philharmonie 02/18/2025 - Maurice Ravel : Le Tombeau de Couperin – Ma mère l’Oye (Suite)
Igor Stravinski : Petrouchka Orchestre de Paris, Klaus Mäkelä (direction)
 K. Mäkelä (© Marco Borggreve)
Les orchestres parisiens se doivent de célébrer le cent cinquantième anniversaire de Ravel. On s’en réjouit – comme on se réjouit de l’année Boulez, né il y a un siècle. Mais l’auteur de Daphnis et Chloé est déjà l’un des compositeurs les plus joués au monde, pas seulement grâce au célébrissime Boléro. Qu’a‑t‑on fait, en 2024, pour le cinquantenaire de la disparition d’André Jolivet – né en 1905 – et de Darius Milhaud ? Au‑delà des anniversaires, se pose la question de la place des musiciens français dans les programmes de concert : si Florent Schmitt y fait quelques apparitions (voir ici), Roussel en semble totalement absent – pour ne rien dire de D’Indy. Que le « sanglier des Ardennes » et le fondateur de la Schola Cantorum soient idéologiquement suspects n’a rien à voir avec leur musique.
Quoi qu’il en soit, ces regrets n’ont pas émoussé le plaisir qu’a distillé le programme Ravel-Stravinski donné par l’Orchestre de Paris. Le Tombeau de Couperin par Klaus Mäkelä combine la clarté des textures, le raffinement des couleurs et, surtout peut‑être, la poésie des atmosphères. C’est ainsi que, après un Prélude d’une volubilité aérienne, il prend son temps dans la Forlane, dont il se plaît à restituer, non sans humour, les grâces faussement surannées – un humour qui épicera le Rigaudon. Et loin d’enfermer l’œuvre dans le carcan d’un néoclassicisme compassé ou de la prétendue sécheresse ravélienne, il n’oublie pas qu’il dirige une suite de danses, avec des souplesses d’elfe. Ma mère l’Oye s’avère de la même eau, d’une clarté cristalline et d’une poésie mystérieuse. Sans effacer néanmoins le souvenir de la magie sonore qui fascinait chez son compatriote Esa‑Pekka Salonen – le jeune Finlandais aurait pu imiter son aîné en donnant l’intégrale. L’orchestre est merveilleux, littéralement.
Il l’est aussi quand vient le rutilant Petrouchka de Stravinski – remplacé le lendemain par Le Sacre du printemps. Après les Contes de Perrault, l’effervescence populaire des tréteaux de la foire. Là encore, Klaus Mäkelä sait prendre son temps, aller au‑delà de la flamboyance virtuose pour oser un lyrisme que l’on associe peu à la partition. Dès le début, la citation de la chanson populaire « Elle avait une jambe de bois », à la faveur d’un tempo assez lent, inspire plutôt la mélancolie que le rire. On pourrait en dire autant de « Chez Petrouchka » et « Chez le Maure ». Si la liesse de la Semaine grasse éclate bien à travers le dernier tableau, l’interprétation y évacue tout parti pris de bouffonnerie débridée ou d’euphorie démonstrative. On en a entendu de plus acérées, de plus foraines, de plus débridées. Celle‑ci, où rien ne se hâte, reste tenue – magistralement – et tendue, très narrative surtout : la baguette nous raconte une histoire, une histoire triste – comme le sont souvent celles des clowns. Celle du pantin Petrouchka. Et si là gisait la vérité de ces « scènes burlesques en quatre tableaux » ?
Didier van Moere
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