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Sauvetage in extremis

Zurich
Opernhaus
02/09/2025 -  et 13, 16*, 19, 23 février, 1er, 6, 13, 16, 22 mars 2025
Giacomo Puccini : Manon Lescaut
Elena Stikhina/Erika Grimaldi* (Manon Lescaut), Konstantin Shushakov (Lescaut), Saimir Pirgu/Andeka Gorrotxategi* (Il Cavaliere Des Grieux), Shavleg Armasi (Geronte di Ravoir), Daniel Norman (Edmondo), Valeriy Murga (L’oste), Siena Licht Miller (Un musico), Alvaro Diana Sanchez (Il maestro di ballo), Tomislav Jukic (Ninetta), Samson Setu (Un comandante)
Chor der Oper Zürich, Ernst Raffelsberger (préparation), Philharmonia Zürich, Marco Armiliato (direction musicale)
Barrie Kosky (mise en scène), Rufus Didwiszus (décors), Klaus Bruns (costumes), Franck Evin (lumières), Fabio Dietsche (dramaturgie)


(© Monika Rittershaus)


C’est le cauchemar de tout directeur d’opéra : remplacer au pied levé un chanteur tombé subitement malade, surtout s’il a un rôle majeur. Et quand ce n’est pas un mais les deux interprètes principaux qui déclarent forfait juste avant une représentation, la mission tient de l’exploit. C’est ce qui est arrivé à l’Opernhaus de Zurich pour la nouvelle production de Manon Lescaut : la veille de la représentation, le ténor, souffrant, annule sa participation. Branle‑bas de combat au sein de l’administration du théâtre, qui trouve finalement un remplaçant en la personne d’Andeka Gorrotxategi. Le chanteur basque arrive en Suisse dans la soirée et le lendemain matin, jour du spectacle, il a juste le temps d’essayer son costume, de discuter brièvement avec le chef d’orchestre et de passer en revue la mise en scène avec un assistant. Mais les ennuis ne sont pas terminés pour le théâtre : le matin même de la représentation, c’est la soprano qui doit renoncer parce que souffrante. Miracle : sa remplaçante, Erika Grimaldi, arrive à Zurich à peine une heure avant le lever de rideau. Elle était en train de répéter Falstaff à Gênes lorsqu’est arrivé le coup de fil de la Suisse. L’Opéra de Gênes a été d’accord de suspendre la répétition et de libérer la chanteuse pour qu’elle puisse se rendre immédiatement à Zurich. Il s’en est donc fallu de très peu pour que la représentation soit purement et simplement annulée.


Les deux chanteurs ont sauvé le spectacle et leur prestation relève tout bonnement du tour de force, quand bien même Erika Grimaldi connaissait vaguement la production pour avoir déjà remplacé la titulaire – malade – lors de l’avant‑générale, en chantant le rôle sur un des côtés de la scène mais sans jouer. Andeka Gorrotxategi et Erika Grimaldi avaient chanté ensemble dans Carmen en 2010. A Zurich, ils ont juste eu le temps de se saluer et ont fêté leurs retrouvailles sur scène ! A aucun moment, ils n’ont donné l’impression d’être empruntés et de ne pas savoir quoi faire sur le plateau, on imagine que l’adrénaline a dû décupler leur énergie. Et à voir ce qu’ils ont réussi à faire sans aucune préparation ou presque, on peut se demander, plus généralement, s’il est bien utile d’avoir trois à quatre semaines de répétitions pour préparer la nouvelle production d’un opéra.


Voix lyrique puissante, homogène sur toute la tessiture, avec une palette infinie de couleurs et des aigus insolents – parfois légèrement stridents – Erika Grimaldi incarne une Manon espiègle puis sensuelle et ardente, avant d’atteindre des sommets d’émotion dans le dernier acte. Des Grieux solide et robuste avec son timbre plutôt sombre, Andeka Gorrotxategi a néanmoins la fâcheuse tendance à attaquer les aigus par en dessous, toujours fortissimo. On ne sera pas aussi indulgent pour le Lescaut de Konstantin Shushakov, au timbre rugueux, sans une once de legato ni d’italianità dans la voix, une erreur de casting. Le Géronte de Shavleg Armasi parle plus qu’il ne chante.


Dans la fosse, la direction vive et nerveuse de Marco Armiliato fait merveille, une direction sensuelle et langoureuse aussi, claire et transparente, avec des cordes soyeuses à souhait et des vents acérés. L’Intermezzo, avec les splendides interventions initiales du violoncelle, est un régal pour les oreilles. Seul bémol : dans la salle intimiste de l’Opernhaus, l’orchestre joue souvent trop fort et a tendance à couvrir les chanteurs.


On attendait beaucoup de Barrie Kosky, mais sa production est une déception. Dans le programme de salle, le metteur en scène australien déclare que Manon Lescaut est, avec La Fille du Far‑West, son préféré de tous les opéras de Puccini, en raison surtout d’un quatrième acte qu’il juge extrêmement moderne, avec seulement deux personnages sur scène. Mais il n’a guère été inspiré. Sa première idée est de faire des choristes et des figurants, qui sont successivement des étudiants puis des bourgeois, une foule portant des costumes bigarrés et des masques grotesques, une foule qui envahit bruyamment le plateau à chacune de ses entrées tout au long du spectacle. Lors de leur première apparition, les membres de cette troupe tiennent tous un instrument de musique. Les masques et les costumes multicolores confèrent une atmosphère de commedia dell’arte, mais on cherche, en vain, le rapport avec Manon Lescaut. Deuxième idée phare de Barrie Kosky : sur le plateau entièrement nu, il a voulu représenter le parcours de Manon par des véhicules tirés par de (faux) chevaux, avec à chaque fois un cocher à la tête de mort : d’abord une longue diligence remplie de figurants masqués, avec Manon qui se maquille à une fenêtre, puis un petit fiacre dans lequel l’héroïne prend place avec Des Grieux pour rejoindre Paris. On voit ensuite un immense carrosse doré, dont l’intérieur se transforme en salon décoré par un énorme lustre. Pour l’acte du Havre, arrive une cage montée sur roues, à laquelle viennent d’ajouter d’autres cages descendant des cintres et remplies de femmes destinées à être envoyées aux Amériques. Au dernier acte, ce sont Manon et Des Grieux qui tirent une charrette avec quelques pauvres bagages. Même si la direction d’acteurs est fouillée et précise, c’est peu, d’où la déception.



Claudio Poloni

 

 

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