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De Strauss à Strauss Paris Philharmonie 02/11/2025 - et 8 février 2025 (Rambouillet) Richard Strauss : Burleske – Ein Heldenleben, opus 40 David Kadouch (piano)
Orchestre national d’Ile-de-France, Pablo González (direction)
 (© Benjamin Ealovega)
Peu jouée, la Burlesque de Strauss flatte pourtant l’interprète par sa virtuosité héritée de Liszt. Sa brièveté est‑elle un obstacle ? Ou sa singularité digitale, qui conduisit Hans von Bülow, grand technicien du clavier comme de la baguette, à la déclarer injouable ? Certains pianistes, en tout cas, n’hésitent pas à la substituer au concerto traditionnel, tel David Kadouch. Elle suffit à confirmer la plénitude et la rondeur de la sonorité, la clarté d’un jeu gorgé de couleurs – notamment dans l’aigu, magnifiquement timbré. Pour ne rien dire d’une technique superlative, mise ici au service d’une lecture très inventive, qui semble s’improviser sans que la forme se relâche – c’est un scherzo, en réalité. Une Burlesque à la flamboyance euphorique mais jamais démonstrative. Manquerait-elle un brin d’insolence, d’humour ? Cela tiendrait plutôt à la direction trop sage de Pablo González.
En bis, d’exquis « Décrets indolents du hasard » de Reynaldo Hahn, première des douze valses du Ruban dénoué. David Kadouch en restitue l’intimisme subtil, contrepoint au feu d’artifice straussien. De quoi inciter à écouter son dernier disque, très beau, consacré aux « Amours interdites » des compositeurs homosexuels, où Poulenc et Wanda Landowska côtoient Szymanowski, où Ethel Smyth et Reynaldo Hahn croisent Tchaïkovski... et Charles Trenet (Mirare).
Si la Burlesque annonce déjà, plus qu’on ne le croit, le Strauss de la maturité, il s’y cherche encore. A partir de Don Juan, il s’est trouvé, notamment dans la fresque épique qu’est Une vie de héros, où le chef espagnol se révèle. Du poème symphonique il offre une interprétation au lyrisme puissant et généreux, rigoureusement construite, en particulier grâce au naturel des enchaînements – entre « La Compagne du héros » et « Le Champ de bataille du héros » par exemple. La pâte sonore est très belle, grâce à l’excellence de l’orchestre – qu’on place volontiers aux côtés des orchestres parisiens. Tous pupitres confondus, avec, dès le début, des cordes bien homogènes – on n’appréciera pas moins la saveur des bois et la rondeur des cuivres, notamment des cors. Le chef sait avancer et raconter, jusqu’à une fin à la fois tenue et émouvante, où le héros « se retire du monde et s’accomplit ». Certes nous voilà assez loin des lectures décapées, sèchement « modernistes », plus polyphoniques aussi, de certaines baguettes. Telle n’est pas l’approche de Pablo González, plus traditionnelle sans doute, qui privilégie la densité de la matière, sans l’empeser pour autant, remarquablement assumée en tout cas. Et le violon de haut vol d’Ann‑Estelle Médouze brosse, dans la redoutable « Compagne du héros », un portrait savoureux de Pauline Strauss.
Didier van Moere
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