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De Turnage à Brahms, entre tensions et lâcher-prise München Herkulessaal 02/13/2025 - et 14* (München), 15 (Wien) février 2025 Mark-Anthony Turnage : Remembering
Johannes Brahms : Ein deutsches Requiem, opus 45 Lucy Crowe (soprano), Michael Nagy (baryton-basse)
Chor des Bayerischen Rundfunks, Krista Audere (cheffe de chœur), Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, Sir Simon Rattle (direction)
 (© Bayerischer Rundfunk/Severin Vogl)
Le Chœur de la Radio bavaroise reste une référence incontournable dans le gotha vocal mondial. Il suffit de le réécouter ce soir pour s’en convaincre. La distinction des timbres, l’homogénéité de chaque pupitre, et puis surtout une qualité d’écoute mutuelle digne d’un chœur de chambre, d’autant plus impressionnante que l’ensemble compte près de soixante‑dix choristes : tout concourt ici à une patente démonstration de compétence.
Même constat du côté de l’Orchestre de la Radio bavaroise dans Brahms. La richesse des couleurs de la petite harmonie, l’identité sonore très germanique des cuivres – avec un fondu irréprochable –, la densité des cordes graves... autant d’éléments d’excellence, pour une phalange idéale dans ce répertoire.
Reste à caractériser la direction de Sir Simon Rattle, donc ce qu’il parvient à imprimer au Requiem allemand de Brahms à l’issue des quelques répétitions qui lui ont été accordées pour un tel concert. Et c’est là que les impressions se nuancent. Si l’approche privilégie un mouvement général rapide, c’est surtout la gestion des volumes sonores qui pose problème, la masse chorale tendant à saturer dans l’acoustique relativement sèche et resserrée de la Herkulessaal de Munich. Une plus grande discrétion dans l’émission des voix, notamment dans les passages les plus denses, aurait été bienvenue, défaut en fait récurrent chez le chef britannique lorsqu’il dirige de grands ensembles choraux. Plutôt que de brider ses troupes, il prend souvent le risque de leur laisser libre cours, au risque d’évidents déséquilibres. Autre écueil : un manque de transparence, Rattle semblant se focaliser avant tout sur les voix – avec une attention scrupuleuse aux entrées fuguées – au détriment de la texture orchestrale, parfois livrée à elle‑même, hormis quelques détails instrumentaux particuliers qui paraissent de temps en temps mis en exergue au fil du discours, et en ce cas avec insistance.
La gestion des solistes surprend également. Rattle semblant peu les diriger, si bien qu’ils peinent perceptiblement à se lancer, avec quelques hésitations, vite rattrapées une fois la voix en place. Lucy Crowe offre une interprétation délicate mais perceptiblement tendue, manquant quelque peu de luminosité. Michael Nagy, quant à lui, affiche d’emblée une belle ampleur, mais son approche reste figée et fruste. Plutôt une simple participation épisodique – et de dernière minute, en remplacement d’Andre Schuen souffrant – à un projet où il a du mal à trouver ses marques.
Malgré l’excellence des forces en présence, ce Requiem allemand laisse en définitive une impression bizarrement mitigée. Et ce n’est pas la première fois que la direction inaboutie de Rattle interroge dans cette œuvre. Déjà en 2006, à Berlin, une captation discographique (Warner) révélait d’étonnantes limites, avec notamment, exemple parmi d’autres, un n° IV « Wie lieblich sind deine Wohnungen » curieusement éthéré et léger, hors de propos. Et bientôt vingt ans plus tard, force est de constater que certaines facettes particulières de ce Deutsches Requiem, moins spécifiquement religieuses que d’un atavisme spirituel allemand difficile à maîtriser, continuent à lui échapper.
Là où Sir Simon Rattle demeure en revanche inégalé, c’est dans son talent à mettre en dialogue des œuvres contemporaines récentes – parfois commandées pour l’occasion – avec des pièces majeures du répertoire. Remembering de Mark‑Anthony Turnage fait partie de ces partitions qu’il aime associer au romantisme et au postromantisme germanique. Après avoir créé cette longue pièce d’environ trente minutes à Londres, en 2017, en prélude à la Sixième Symphonie de Mahler, il lui a ensuite trouvé une place singulière à Berlin, en guise de pièce de résistance entre la Sérénade pour vents de Dvorák et la Seconde Sérénade de Brahms (quel point commun entre ces trois œuvres ? En fait, et probablement le seul, il n’y a de violons dans aucune des trois !), et aujourd’hui il la remet à l’honneur à Munich, où cette partition techniquement exigeante paraît parfaitement adaptée à un orchestre de prestige.
Œuvre de déploration, hommage écrit suite à la disparition précoce d’Evan Scofield, fils du guitariste de jazz John Scofield, cette sorte de symphonie en quatre mouvements n’a pourtant rien de funèbre dans ses trois premiers volets, vifs et fantasques, émaillés de riffs très jazzy. On décèle là d’emblée un tempérament de compositeur de scène, moins préoccupé d’expérimentations sonores que d’exploiter l’orchestre avec une réelle efficacité dramatique, comme un théâtre instrumental, fait de surprises et de ruptures. Et puis survient enfin ce très beau moment d’apaisement et de résignation, d’une expressivité intemporelle, où prédominent les cordes graves, dont un émouvant dialogue soliste entre alto et violoncelle, profondément sincère et pudique. Un hommage d’autant plus prégnant qu’il prépare idéalement ensuite à l’entrée du Deutsches Requiem de Brahms, dont le premier mouvement, lui non plus, ne fait pas appel aux violons...
Laurent Barthel
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