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Un moment de grâce avec Tristan Murail

Paris
Maison de la radio et de la musique
02/09/2025 -  
Fausto Romitelli : Spazio-Articulazione
Tristan Murail : Le Livre des merveilles (création)
Eric Montalbetti : Concertino pour piano « Ommaggio a Luciano Berio » (création)
Marius Malanetchi : Couleurs du vent (création)
Olga Neuwirth : « ...miramondo multiplio... »

Beatrice Rana (piano), David Guerrier (trompette), Ming Wang (guzheng)
Serge Lemouton (électronique Ircam), Clément Cercles (diffusion sonore Ircam), Philharmonique de Radio France, Matthias Pintscher (direction)


T. Murail (© Christophe Abramowitz/Radio France)


A l’instar du juvénile Magnificat (1949) de Luciano Berio entendu vendredi, Spazio-Articulazione (1990) de Fausto Romitelli (1963‑2004) est resté longtemps inédit. Placée sous le patronage manifeste de son professeur Franco Donatoni (1927‑2000), la pièce trahit cet artisanat méticuleux fondé sur la répétition de formules (faussement) mécaniques. Mais on relève déjà, à travers l’amplification des instruments et le rôle concertant dévolu au piano, l’intérêt du compositeur de 27 ans pour la spatialisation – les sons saturés qui allaient devenir sa marque de fabrique n’ont pas encore fait leur apparition.


Le guzheng sur lequel officie Ming Wang se présente un peu comme la combinaison d’un cymbalum et des ondes Martenot : les notes (au timbre voisin de la cithare) sont jouées par la main droite, la main gauche modulant l’amplitude du vibrato. Nulle confrontation avec le clavier MIDI ni les cordes qui l’entourent : Tristan Murail (né en 1947) privilégie ici les phénomènes de correspondance. Le jeu tour à tour arco et pizzicato des cordes prolonge le champ harmonique de l’instrument soliste tandis que la partie électronique (conçue avec l’assistance de Serge Lemouton), fondée sur les résonances des cloches chinoises, baigne le tout dans un halo brumeux qui n’est pas sans évoquer l’esthétique épurée de Luigi Nono. Les séquences se suivent comme on feuillèterait Le Livre des merveilles de Marco Polo éponyme de ce concerto d’une grande beauté où chaque note, chaque silence, est investi de son juste poids poétique. Matthias Pintscher dirige moins qu’il n’incante les musiciens particulièrement impliqués du « Philhar ».


Beatrice Rana prête sa technique alliant souplesse et éclat au Concertino d’Eric Montalbetti (né en 1968), écrit en hommage à Berio. D’une facture très classique malgré une forme inversée (un mouvement rapide ceinturé de deux mouvements lents), l’œuvre se cantonne à des mixtures de timbres et à des coloris harmoniques parfaitement inoffensifs fondés sur des « échelles modales issues d’un réservoir de dix‑huit modes ». A la gésine progressive du monde sonore qui caractérise le premier mouvement répond la lyrique partie de flûte du Final. La pianiste italienne ne fait qu’une bouchée des octaves alternées et autres sauts de registres de la « Toccatina » centrale. Quinze minutes, c’est peu ou prou la durée du fascinant Points on the Curve to Find (1974) pour piano et ensemble de Berio... qu’on eût préféré voir programmer à la place de ce beau travail académique.


Couleurs du vent renoue avec la fragilité de la pièce de Murail. Marius Malanetchi (né en 1993) s’intéresse à l’exploration de « la nature éphémère et changeante du son ». Il n’est pas le premier : le chatoiement instrumental riche en effets de souffle semble directement issu des premières pièces de son aîné Francesco Filidei (né en 1973). Il n’est pas jusqu’au tuyau articulé qu’un percussionniste fait tournoyer au‑dessus de sa tête pour en tirer un sifflement qui ne renvoie à l’univers timbrique du Pisan, tout juste consacré par le prix Antoine Livio de la Presse musicale internationale (PMI).


Dans « ...miramondo multiplo...  » (2006‑2007), Olga Neuwirth (trompettiste de formation) concilie les deux qualités qu’elle dit apprécier dans la trompette : la violence et la mélancolie. David Guerrier oscille entre ces deux pôles antinomiques, aiguisant une soif de mélodies qu’il n’étanche qu’aux détours d’un solo à la manière de Miles Davis ou de citations – « réminiscences aliénées » selon la compositrice –, telle l’aria « Lascia ch’io pianga » de Haendel. Il s’agit de la version révisée pour ensemble, préférable à celle pour orchestre, où le tempérament généreux de Neuwirth a parfois tendance à trop en faire. Le titre induit la nature kaléidoscopique du discours divisé en une multitude d’expériences, toutes plus fantasmagoriques les unes que les autres. La variété des trompettes (et des sourdines) utilisées par le flamboyant David Guerrier trouve un prolongement idoine dans la réactivité des musiciens du Philharmonique de Radio France, manifestement très à leur aise dans ces cinq courtes « histoires musicales » dont Matthias Pintscher soigne la teneur narrative.


Gratifiante pour le soliste, enthousiasmante pour le public, l’œuvre referme en beauté ce festival Présences consacré à l’une des créatrices majeures de notre temps. L’édition 2026 nous donnera rendez‑vous avec Georges Aperghis (né en 1945), compositeur passé maître dans l’art du théâtre musical.



Jérémie Bigorie

 

 

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