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Le pluralisme d’Olga Neuwirth Paris Maison de la radio et de la musique 02/08/2025 - Olga Neuwirth : Tombeau I (création) – Keyframes for a Hippogriff – Trurliade ‑ Zone Zero
Michaël Levinas : Clameurs (création) Andrew Watts (contre-ténor), Adélaïde Ferrière (percussions), Véra Nikitine (orgue)
Augustin Muller (électronique Ircam), Maîtrise de Radio France, Sofi Jeannin (direction), Orchestre national de France, Matthias Pintscher (direction)
 O. Neuwirth (© Harald Hoffmann)
Matthias Pintscher, aux côtés de feue Joséphine Markovits (figure historique du Festival d’Automne), contribua beaucoup à familiariser le public parisien avec la musique d’Olga Neuwirth – « Nous avons pratiquement le même âge. Souvent, je parle d’elle comme de ma grande sœur » – durant son mandat de directeur musical de l’Ensemble intercontemporain (2013‑2023).
C’est à la tête d’un Orchestre national de France réuni en grand conclave qu’il donne le coup d’envoi de Tombeau I – un hommage à Pierre Boulez. Cette première création de la soirée s’inscrit dans une tradition développée par le baroque français et à laquelle Boulez avait d’une certaine manière payé son tribu dans la dernière partie de Pli selon pli, « Tombeau » (d’après le sonnet de Mallarmé). Au reste le geste inaugural de l’œuvre rappel précisément celui de Pli selon pli, même si c’est davantage le Boulez chef d’orchestre qui sera évoqué à travers l’intégration, dans la partie électronique, d’un extrait de Parsifal sous la direction du maître. Neuwirth renonce toutefois aux citations, même si la prolifération des trilles aux vents agit comme une allusion explicite au style de Boulez. Auparavant, cette marche lente aura suivi la forme d’une arche jusqu’à atteindre un impressionnant climax mobilisant la totalité de l’effectif, du contrebasson au piccolo.
Le ton change du tout au tout dans Keyframes for a Hippogriff (2019‑2020), sous‑titré « calligrammes musicaux à la mémoire de Hester Diamond ». Par le truchement d’un hommage à cette collectionneuse et marchande d’art, Neuwirth entendait célébrer le centième anniversaire du dix‑neuvième amendement américain accordant le droit de vote aux femmes. « Au foisonnement des sources littéraires [Melville, Whitman, Dickinson...] répond l’éclectisme de la partition », précise Hélène Cao. Carillonnant au début, le traitement de l’orchestre se fait par la suite plus divisionniste, avec des épisodes chambristes enrobant le soliste à la manière d’une basse continue. Andrew Watts peut s’enorgueillir d’une insolente projection (peu fréquente chez un contre‑ténor) et d’une faculté à endosser sans difficulté la vocalité débridée que lui impose sa partie, du Sprechgesang au cri en passant par la mélodie richement ornée. On songe au rôle du prince Go‑Go du Grand Macabre de Ligeti – un clin d’œil que semble avaliser la présence de klaxons dans l’orchestre. Neuwirth n’aime rien tant qu’abolir les frontières entre bon et mauvais goût, musique savante et populaire. Les deux synthétiseurs et la guitare électrique apportent leur touche tour à tour grotesque, onirique ou puérile à un effectif imposant dirigé de main de maître par Matthias Pintscher. Voix de l’innocence selon la compositrice, le chœur d’enfants (parfaitement préparé par Sofi Jeannin) miroite dans toute sa candeur, avec le souvenir de Britten passim.
Si le grand public se gargarise des gestes spectaculaires que semble garantir l’arsenal des percussions, les puristes se méfient des effets faciles. Dans Trurliade - Zone Zero (2016), donné en création française, Olga Neuwirth réussit l’exploit de combler les uns sans décevoir les autres. Parmi les références multiples invoquées par la compositrice, on retiendra celle à Jean Tinguely, dont le goût pour les sculptures conçues à partir d’objets de récupération trouve un prolongement naturel dans l’effectif mis à la disposition du soliste. Adélaïde Ferrière se meut avec sveltesse d’une percussion métallique à un gong, d’un clavier à divers objets suspendus. Trois autres percussionnistes l’entourent, ayant à leur disposition une batterie d’ustensiles au nombre desquels un ventilateur et une boîte à musique. Pleinement associés à cette énergique imagerie de cartoon, les musiciens d’orchestre joueront de l’harmonica ou de la flûte à coulisse avant que la trompette n’entonne la chanson (popularisée par Joan Baez) We shall overcome. Il y a quelque chose de Bernd Alois Zimmermann (Musique pour les soupers du roi Ubu, Concerto pour trompette) dans cette esthétique pluraliste où le jazz côtoie l’humour dada. Clameurs enthousiastes du public, manifestement de plain‑pied avec cet imaginaire magnifié par Adélaïde Ferrière et les musiciens du National.
C’est d’une autre clameur qu’il est question dans Clameurs de Michaël Levinas (né en 1949), conçu pour l’orgue Grenzing du Grand Auditorium. Par rapport à Cantique des larmes entendu la veille, l’écriture, idiomatique pour le clavier, se fait plus linéaire avant que les « Chorals en larmes » de la dernière partie, tout en tremblement, ne renvoient par leurs lignes chromatiques descendantes au lamento baroque. On oublie la prose un peu trop jargonnante dont use le compositeur pour parler de sa musique et l’on salue la performance de Véra Nikitine aux commandes du bel instrument de Radio France.
Jérémie Bigorie
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