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Berio et Neuwirth revisitent la tradition

Paris
Philharmonie
02/07/2025 -  
Luciano Berio : Magnificat
Olga Neuwirth : locus... doublure... solus
Michaël Levinas : Cantique des larmes (création)
Franz Schubert & Luciano Berio : Rendering

Tamara Stefanovich (piano)
Chœur de Radio France, Roland Hayrabedian (chef de chœur), Philharmonique de Radio France, André de Ridder (direction)


A. de Ridder (© Marco Borggreve)


Un anniversaire peut en cacher un autre : exact contemporain de Pierre Boulez, Luciano Berio (1925‑2003) compte au même titre parmi les géants de la musique du XXe siècle. Sa place se justifie d’autant plus dans le cadre de ce concert que l’esthétique ouverte de sa dernière période préfigure (bien mieux que Répons ou Dérive) l’art de l’hybridation et de l’hétérogène pratiqué par Olga Neuwirth, compositrice à l’honneur du festival Présences.


Berio a beau appartenir à la génération qui suit celle des Ghedini, Petrassi et Dallapiccola, il n’en a pas moins subi de plein fouet l’influence du Stravinsky des Noces et surtout d’Œdipus Rex, déjà perceptible dans le Concerto spirituale (1943) du premier, le Salmo IX (1934‑1936) du deuxième et les Canti di prigionia (1938‑1941) du troisième. On aurait aimé une direction plus pneumatique de la part de l’Allemand André de Ridder dans ce Magnificat (1949) où s’exprime un apprenti en passe d’assimiler les principes de ses modèles.


Psalmodique au chœur (préparé au cordeau par Roland Hayrabedian), la vocalité se fait plus sensuelle dans le duo des sopranos (parfaitement appareillées) auquel l’orchestre (sans cordes) offre un soutien à la pulsation marquée par les deux pianos et les percussions – on n’oubliera pas l’échappée des deux trombones dans le « Quia respexit ». Il en résulte une œuvre où de perçantes fanfares, des échos obscurs et les rythmes implacables présentent une image du sacrée venue du fond des âges.


C’est le Berio mahlérien et grand récupérateur qui officie dans Rendering (1988‑1990), commande du Concertgebouw d’Amsterdam d’après les esquisses de la Dixième Symphonie de Schubert. Le compositeur de Sinfonia a orchestré les ébauches et rempli les vides avec sa propre musique (annoncée par le célesta), sans chercher à recouvrer la forme originelle. On a comparé son travail à celui d’un restaurateur de fresque. La fraîcheur mélodique typique de Schubert, baignée dans la lumière matutinale du majeur, est bien restituée par le Philharmonique de Radio France, dont l’effectif reprend celui de la Symphonie « Inachevée ». Il y a beaux moments aux cordes (cantabile des violoncelles, pizzicatos des contrebasses), aux bois (solo de hautbois avec contrechant du basson) et au cuivres (trois trombones), que l’ambiguïté du « tissu connectif » injecté par Berio colore en miroir d’une touche surréelle. Le chef, très à l’aise dans les passages modernes, pèche ailleurs par une gestique un peu roide qui peine à fluidifier les langueurs schubertiennes – à sa décharge, le pupitre des cordes semble trop fourni.


Quelques mesures suffisent pour identifier le compositeur de Cantique des larmes, joué en création mondiale. Michaël Levinas (né en 1949) exploite à plaisir le territoire qu’il défriche depuis la consolidation de son style apparu à la marge du mouvement spectral. Chaque note saigne comme une plaie, et c’est presque une étude orchestrale sur le glissando qui nous est donnée à entendre. De là l’abondance des modes de jeu – du legato des cordes au tremblement des lèvres et de la mâchoire sur l’anche du basson – visant à produire des chorals lacrymaux. Partagée entre statisme et réitération, la partition, subdivisée en trois parties enchaînées, prend progressivement des allures déploration, non sans évoquer les figuralismes exploités à l’envi par les grands madrigalistes italiens du XVIe siècle.


Comme l’écrit le musicologue Stefan Drees, les deux claviers (célesta et piano électrique) « assument en quelque sorte la fonction d’ombre sonore, colorant la partie de piano solo dans une sorte de dédoublement ». De fait, Olga Neuwirth en appelle à l’œuvre de Raymond Roussel – La Doublure et Locus solus – pour relater la genèse de ce concerto pour piano d’un genre particulier qu’est locus... doublure... solus (2001). La partie soliste semble se cogner au mur de ses phantasmes. Résonnent des échos enfouis de Messiaen, quand n’affleurent pas à la surface des figures obsessives, aux relents de cauchemar. Tamara Stefanovich se distingue par la versatilité de son jeu : ici conquérant, avec force clusters et sauts d’un extrême à l’autre du clavier ; ailleurs effacé, comme dans la quatrième section, où sa partie se fond dans les sonorités éthérées de l’orchestre. Un orchestre auquel l’Autrichienne adresse de singulières requêtes... pour le plus grand plaisir des musiciens du « Philhar » : les cuivres troquent par endroits leur instrument pour un harmonica ; les altos doivent s’accorder 60 cents plus haut que le soliste (soit « un peu plus d’un quart de ton »). Si Neuwirth bouscule à plaisir la tradition du concerto, sa démarche paraît ici un peu forcée. Le concerto pour trompette ...miramondo multiplio... (2006) la montrera plus inspirée, plus émouvante aussi.



Jérémie Bigorie

 

 

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