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Macbeth, ou les serial killers de Verdi

Bordeaux
Grand Théâtre
06/28/2002 -  & 30 juin, 2, 5, 8, 10 juillet 2002
Giuseppe Verdi : Macbeth
Michèle Lagrange (Lady Macbeth), Richard Zeller (Macbeth), Carsten Stabell (Banquo), Brandon Joronovitch (Macduff), Angel Pazos (Malcolm)
Chœur de l'Opéra de Bordeaux, Orchestre National Bordeaux Aquitaine, Jonathan Darlington (direction)
Giuseppe Frigeni (mise en scène).


Le genre musical ? Un thriller gothique. Un roman de science-fiction historico-politique ; une hallucinante mosaïque, selon les termes propres du plus «shakespearophile » des Italiens... Où sommes-nous ? Dans un lieu sinistre, terrifiant, claustral - ce qui rappelle le début de Terminator II -, déchiré par de rares stries de lumière orangées, rouge sang, jaunâtres. Impossible, là encore, de localiser avec une certitude absolue l'époque, les personnages, la trame. Partition emplie de fracas et de fureur : la thématique en est universelle. La lutte contre la tyrannie, la corruption, la quête avide du pouvoir, la manipulation politique, l'aspiration au choix le plus fondamental : « la liberté » !


Giuseppe Verdi a parfaitement intégré ces divers critères en construisant son opéra le plus fascinant - avec Simon Boccanegra, autre oeuvre expérimentale. Si Macbeth était un point de vue, ce serait des collines de potences à perte de vue, hérissées de pendus grimaçants aux prunelles injectées, et défiant les vivants de leur sang. Le sang est omniprésent, qui ruisselle de façon perpétuelle quoiqu'invisible ; mais presque tangible par intermittences, sur les parois d'une gigantesque forteresse-cachot. Ce décor est idéal pour une musique visionnaire, d'une violence ahurissante, bousculant le schéma traditionnel des ouvrages lyriques contemporains.


Pas de gentillet tenorino amoureux de la melliflue soprano en butte aux assiduités d'un méchant baryton. Aucun duo d'amour, encore moins de passages emplis de tendresse ou d'accalmie salvatrice. Le musicien a forgé un univers désolé, alla Shining, avec deux mondes parallèles qui se croisent et s'entrecroisent ! Les sorcières de la forêt - géniale trouvaille de la mise en scène - habitent un cauchemardesque château, conçu tel l'intérieur d'un réacteur atomique ; un vaisseau intersidéral éventré. En tout cas, un périmètre d'insécurité, une Dead Zone perdue aux confins d'une lande désertique.


A ce propos, l'on pense inévitablement à la fin des Trois Mousquetaires de Dumas ; lorsque Athos lance à Milady, avant de la livrer au bourreau anticipant son Jugement Dernier : « vous n'êtes pas une femme, vous n'appartenez pas à l'espèce humaine : vous êtes un démon échappé de l'enfer, et que nous allons y faire rentrer ». Lady Macbeth, protagoniste principale de l'Opéra (avec les sorcières), peut se glisser dans cette magistrale définition. Prédatrice nocturne, admirable manipulatrice ; incarnation du Mal, elle se voit attribuer par Verdi une tessiture crucifiante. Personnage luciférien, elle lorgne vers Norma, Odabella et Abigaïl, préfigurant le grand soprano dramatique wagnérien, style Kundry - ou pour rester dans la généalogie verdienne, Eboli et Amnéris.


Autre souhait du compositeur : il faut une voix rauque, laide, caverneuse ; un timbre de rogomme pour cette créature d'origine quasi extra-terrestre, assoiffée de pouvoir. Michèle Lagrange a relevé le gant avec maestria - surtout dans la scène du somnambulisme ; au cours de laquelle elle affronte en combat singulier, dont l’issue sera mortelle, sa propre conscience. Elle orne son chant gangrené de cygne noir d'accents « rysanékiens » ; jusqu'au conte- bémol déchiré, un lambeau - sorte d'implosion corporelle et mentale. Pantin disloqué qui n'a plus rien à partager avec le machiavélique chef d'armée à la tête d'un sombre commando de chevaliers Sith - guerilleros post-apocalyptiques, dont la mission est d'occire Banquo !


Extraordinaire Macbeth de Richard Zeller. Enfin un baryton-Verdi, dont la prestance et le timbre ne sont pas sans rappeler un certain Renato Bruson. Avec lui, Macbeth devient un simple exécutant des basses oeuvres, marionnette cultivant avec sa féroce épouse un étrange et malsain rapport sado-masochiste... Autre trait de génie : le chef d'orchestre Jonathan Darlington rattache délibérément ce monument verdien - qui appartient pour partie encore à la filiation belcantiste - aux grands ouvrages de la maturité ; et met en relief notamment les somptueux récitatifs. Ainsi que les audaces d'écriture, tel ce poignant contre-liebestod de la Lady, avec clarinette et cor anglais - passage au cours duquel la musique développe des velléités de compassion face à l'hypnotique confession.


Il s'agit de l'un des sommets de la saison lyrique bordelaise, dominée par des metteurs en scène « relecteurs » mais jamais corrupteurs (Zambello et Frigeni)... Un vœu pour finir : et si Bordeaux redonnait sa chance au Macbeth d'Ernst Bloch ?



Étienne Müller

 

 

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