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Dans le souvenir de Tristan Liège Opéra royal de Wallonie 01/28/2025 - et 30 janvier, 2*, 5, 8 février 2025 Richard Wagner : Tristan und Isolde Michael Weinius (Tristan), Lianna Haroutounian (Isolde), Violeta Urmana (Brangäne), Evgeny Stavinsky (König Marke), Birger Radde (Kurwenal), Alexander Marev (Melot), Zwakele Tshabalala (Ein junger Seeman), Bernard Aty Monga Ngoy (Ein Steuerman), Thierry Hellin (Le double de Tristan)
Chœurs de l’Opéra royal de Wallonie, Denis Segond (chef des chœurs), Orchestre de l’Opéra royal de Wallonie, Giampaolo Bisanti (direction musicale)
Jean-Claude Berutti (mise en scène), Jeanny Kratochwil (costumes), Rudy Sabounghi (décors), Christophe Forey (lumières), Julien Soulier (vidéo)
 L. Haroutounian, M. Weinius (© Jonathan Berger/Opéra royal de Wallonie)
Encore un peu et cela aurait fait cent ans. Tristan et Isolde (1865) n’avait plus été monté à l’Opéra royal de Wallonie depuis 1926. Il était donc temps que cet opéra soit programmé et grand temps aussi que Wagner revienne à l’affiche. La dernière production d’un ouvrage de ce compositeur remonte à 2011, du temps du chapiteau.
Jean-Claude Berutti en conçoit la mise en scène, transposée il y a environ un siècle, comme le suggèrent les costumes et les accessoires, même si rien ne le précise dans les notes d’intention. La scénographie se distingue par son dépouillement et sa beauté, sa dimension évocatrice, aussi, renforcée par la vidéo alternant diffusion en direct, d’assez bon goût, pour une fois, et création originale, une mer, un jardin, le sol d’un intérieur, vus sous différents angles, pour de beaux effets, évocateurs et poétiques. La mise en scène n’évite toutefois pas l’écueil du statisme, inhérent à cet ouvrage, en particulier dans le troisième acte, celui dont l’orientation dramatique de la mise en scène prête le plus à la discussion : les personnages entourant Tristan apparaissent comme du personnel médical, en ce compris Kurwenal, qui ressemble à un médecin, et même Isolde, habillée en infirmière. En outre, Melot tombe et meurt sans que l’on sache comment.
Mais l’idée centrale consiste à introduire un comédien, présent quasiment en permanence, Thierry Hellin, remarquable en double muet de Tristan. Ce qui se déroule sur la scène relève ainsi du souvenir, celui du héros en fin de vie, un choix non dépourvu d’intérêt, et même de pertinence, apportant une touche bienvenue de singularité à cette mise en scène, non sans quelque confusion, parfois. La direction d’acteur confère suffisamment de relief aux personnages, même si le long duo du deuxième acte demeure un moment difficile à habiter pleinement.
L’Opéra royal de Wallonie a réuni une distribution de qualité, avec, pour les rôles‑titres, deux remarquables chanteurs, armés techniquement et crédibles physiquement. Michael Weinius se présente en véritable ténor wagnérien, même si le timbre de cette voix puissante séduit modérément. Le ténor, qui délivre un chant solide, même au troisième acte, après avoir accompli déjà tant d’efforts, s’identifie avec profondeur et sincérité à son personnage. Le public reconnaît manifestement, lors des saluts, la valeur de cette incarnation touchante et sensible. Lianna Haroutounian réussit sa prise de rôle en Isolde. Jusqu’au bout, même son Liebestod, remarquablement interprété, avec plénitude et émotion, la voix demeure belle, et le chant admirable de justesse, de constance et d’intensité.
Violeta Urmana incarne une Brangäne plus âgée qu’Isolde, à la voix plus blanche, mais le personnage se distingue par sa présence, même lorsqu’elle ne chante pas. Evgeny Stavinsky se conforme aux attentes en Marke, grâce à une voix profonde et un chant, à la fois, ferme et expressif. Birger Radde impose, lui aussi, un Kurwenal de belle stature, chanté avec soin, malgré une palette expressive plutôt réduite. Notons également la prestation réjouissante de Zwakele Tshabalala en jeune marin et en berger, tandis que le prometteur Alexander Marev continue à acquérir de l’expérience en Melot.
Sans atteindre une extase totale et continue pendant un peu moins de quatre heures, la prestation de l’orchestre, placé sous la direction de Giampaolo Bisanti, attentif aux ressorts dramatiques de cet opéra, suscite beaucoup d’intérêt, à défaut de subjuguer ou de fasciner, malgré de nombreux passages vraiment réussis, et ce dans chaque acte. L’orchestre affiche un excellent niveau de jeu, et il faut applaudir l’admirable travail de fond effectué à l’occasion de cette production, ainsi que le talent de certains musiciens qui interviennent en solo dans des passages absolument cruciaux, deux d’entre eux venant même saluer, comme les chanteurs. Le chef maintient un bon équilibre avec le plateau et veille à rendre l’exécution clair et cohérente, les tempi paraissant dans l’ensemble naturel, même si certains passages pourraient être joués plus lentement ou plus rapidement, avec plus ou moins de contrastes, certains moments manquant même, bien que ponctuellement, de précision. La sonorité demeure toutefois le plus souvent belle, et le flux dense. N’omettons pas de mentionner aussi la bonne prestation des choristes, qui n’interviennent qu’au premier acte et qui, par conséquent, viennent saluer à l’issue de celui‑ci.
Malgré quelques réserves, cette production est une réussite. Cela faisait même longtemps que nous n’avions plus autant applaudi dans cette salle. Force est de constater que l’Opéra royal de Wallonie a les moyens et la volonté de gravir ce genre d’Everest musical.
Sébastien Foucart
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