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Toulouse
Théâtre du Capitole
06/14/2002 -  & 16, 18, 23* et 25 Juin 2002

Giuseppe Verdi : Falstaff


Juan Pons (Sir John Falstaff), Roberto Servile (Ford), Charles Costranova (Fenton), Carol Vaness (Alice Ford), Bernadette Manca di Nissa (Mistress Quickly), Martine Mahé (Meg Page), Martina Winter (Nanetta)...

Orchestre National du Capitole, Marco Armiliato (direction).

Nicolas Joël (mise en scène).



L'ultime opus de la trilogie Shakespeare du grand Giuseppe a clôturé une saison dominée par Wagner, et Britten... Mais c'est toujours avec bonheur que l'on reprend ses quartiers d'été à l'Auberge de la Jarretière, même s'il s'agit de la troisième édition, après 1991 et 1995, du dernier ouvrage d'un compositeur octogénaire sempervirens ! Après Alain Fondary et Jean-Philippe Lafont, au tour du baryton espagnol Juan Pons d'enfiler les chausses du « Pancione » cher au coeur de Verdi. Exit en effet le projet, reporté sine die, d'un virtuel Roi Lear. Cinquante ans après le fiasco retentissant de l'opéra-bouffe post-donizettien Un jour de règne, qui n'eut les honneurs de l'affiche... qu'un seul jour, le compositeur le plus adulé d'Europe ose récidiver avec ce kaléïdoscope brillantissime et atypique. Certes, via Fra Melitone et la sémillante Preziosilla, Verdi expérimentait déjà dans une sombre partition, pleine de fracas et de fureur et n'engendrant guère la franche rigolade, la paradoxale dimension burlesque. De l'Almodovàr avant la lettre ?



En l'occurrence, Falstaff est peut-être l'opéra le moins accessible du musicien italien, tant il a renouvelé de fond en comble son esthétique compositionnelle, pour livrer une audacieuse et déconcertante conversation comique en musique - avant celles de Strauss (La femme silencieuse), de Puccini (pétillant Gianni Schicchi), voire de Busoni (le capricio-ludique Arlecchino). Ici, il s'agit d'une fantaisie fantastico-lyrique ancrée au XX° siècle avec sept ans de réflexion : un dramma giocoso qui rappelle, par son finale fugué (message ambigu, faussement léger et désinvolte) Cosi fan tutte en particulier. Ce vieil adolescent de quatre-vingts ans, les yeux grand ouverts sur l'avenir, réalise de surcroît une magistrale synthèse du passé et du présent.



Purcell, Weber, Mendelssohn, avec leurs scènes oniriques de fééries immatérielles ; Berlioz (Lélio ou le retour à la vie), le Wagner des Maîtres Chanteurs (le troisième acte tout entier de Falstaff, d'un feu rougeoyant de couleurs wagnériennes) - marquent de leur empreinte impalpable, tels des elfes invisibles surgis du royaume d'Obéron, chaque harmonie lactée, en incrustant de broderie instrumentale ce que souligne parfaitement la lecture de Marco Armiliato. Pour servir cette vespérale comédie triste-amère - histoire d'une plaisanterie cruelle, qui consiste, pour les joyeuses commères de Louxor (!) à s'amuser aux dépens d'un Chevalier déchu, au seuil d'un crépuscule inexorable -, il est impératif de réunir des acteurs-chanteurs hors pair, afin d'en restituer les innombrables facettes.



Car, pour pathétiques et scabreuses que soient les situations dont Falstaff est la première victime ; lui n'est jamais caricatural, ni bouffon tragique, pas plus que sinistre roquentin... Bien plus, ses yeux une fois dessillés - à la fin du dernier tableau - il doit non pas éviter de perdre la face ; mais, refoulant au plus profond de son être les morsures d'une âme à vif écorchée par ses multiples déboires sentimentaux, redresser la situation à son avantage. Le rôle du ventripotent séducteur colle à Juan Pons, telle une seconde peau ; et ce, depuis le monologue sur l'honneur jusqu'au « Tutto nel mondo è burla » ! Presque une épitaphe sur sa future tombe - après les douze coup de minuit, qui viennent de sonner tel un glas lugubre. L'Espagnol ne se départit jamais de sa bouleversante humanité et de sa noblesse naturelle. E gli altri ? Bernadette Manca di Nissa, authentique contralto, évite toute surcharge intempestive, tout poitrinage artificiel ; ce qui constitue souvent le triste apanage des mezzos clairs distribués dans ce personnage d'Ulrica en version comique - grossissant à l'envi, voire « gutturalisant » un timbre privé de grave et de bas médium.



Au chapitre des louanges, c'est à peu près tout. En effet, l'Alice de Carol Vaness est « problématique » ; elle peine à peu près partout sur l'étendue de la tessiture. L'aigu est grisâtre, émis au prix d'efforts herculéens - lorsqu'il n'est pas strident ! Idem du couple pâlot formé par les deux tourtereaux. Dans l'hymne éthéré post-bellinien, nimbé d'une couleur stellaire, du troisième acte, le pauvre tenorino vacille. Ah ! Si l'on avait pu cloner Alfredo Kraus ! Heureusement, le jeune maestro Marco Armiliato domine la partition, et la déroule tel un somptueux opéra de chambre, avec des finali-feux d'artifice conduits à un rythme diabolique - ce qui évoque la battue superlative de Bernstein ; l'une des références discographiques du chef d'oeuvre, avec Toscanini et Karajan I. Un souhait, à titre conclusif : l'on aimerait se plonger dans les autres « falstafferies » ; pourquoi pas Salieri, Nicolaï - ou encore le Sir John in love de Ralph Vaughan-Williams !



Étienne Müller

 

 

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