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Le temps ne fait rien à l’affaire Paris Théâtre des Champs-Elysées 01/17/2025 - et 11, 12, 13, 14, 16 janvier 2025 (Wien) Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour violon n° 3 en sol majeur, K. 216
Anton Bruckner : Symphonie n° 9 en ré mineur Pinchas Zukerman (violon)
Wiener Philharmoniker, Zubin Mehta (direction)
Z. Mehta (© Wilfried Hösl)
La venue de Zubin Mehta à Paris, qui plus est à la tête de l’Orchestre philharmonique de Vienne, phalange avec laquelle il a débuté le 11 juin 1961 et qu’il a depuis dirigée à de multiples concerts, notamment dans le cadre de cinq concerts du Nouvel An, a suffi à remplir le Théâtre des Champs‑Elysées. Avec un programme taillé sur mesure et un violoniste complice du chef depuis bien des années, tout était prêt pour un concert d’anthologie. Las, on aura eu droit à une représentation finalement des plus moyennes dont la première partie fut un véritable pensum.
Pinchas Zukerman n’a joué que treize fois avec le Philharmonique de Vienne, dont six fois ce programme, donné à cinq reprises à Vienne avant qu’il ne soit joué ce soir à Paris ; son premier concert avec eux a eu lieu le 3 août 2013 au Festival de Salzbourg, avec le Troisième Concerto de Mozart et Zubin Mehta sur le podium, déjà. On peut comprendre que les artistes d’un certain âge soient réfractaires au renouvellement interprétatif pour de multiples raisons qui peuvent sans doute s’entendre mais, pour autant, on a du mal à comprendre comment on peut donner du Troisième Concerto (1775) de Mozart une interprétation aussi prosaïque. Après être entré sur scène (sans canne cette fois‑ci) à la suite du soliste, Zubin Mehta lança un Orchestre philharmonique de Vienne tout en allant et légèreté, aidé il est vrai par un effectif relativement réduit (vingt‑deux cordes, deux flûtes, deux hautbois et deux cors) ; et puis patatras ! L’entrée de Pinchas Zukerman ennuie d’emblée ; outre une justesse souvent approximative et une technique parfois prise en défaut, le violoniste ne fait preuve d’aucun élan, d’aucune facétie, restant très à la surface d’une partition qu’il n’a pas l’air d’aimer, la cadence s’avérant quant à elle d’un incroyable statisme. Pris, il est vrai, assez lentement par Zubin Mehta, l’Adagio s’étire sans fin, le soliste ne faisant preuve au surplus d’aucune nuance, se contentant d’un mezzo forte ronronnant dont on a très vite hâte qu’il se termine. Et que dire du Rondeau conclusif ? Là encore, aucun panache, aucun rebond, aucune vitalité, l’orchestre devant malgré lui sans doute suivre un Pinchas Zukerman totalement apathique ; il aura bien fallu quelque insistance de la part du chef pour que le public consente à rappeler trois fois le soliste sur scène qui, heureusement pour nous, n’offrira aucun bis.
Après l’entracte, c’est le Philharmonique de Vienne au grand complet qui entre sur scène à la suite de Yamen Saadi, Konzertmeister du soir. Outre certains effectifs impressionnants (quatre trompettes, neufs cors dont quatre jouant également les Wagner‑Tuben dans le dernier mouvement de la symphonie), il est piquant de remarquer que, outre un fort renouvellement générationnel, l’orchestre comptait, ce soir, pas moins de vingt‑cinq femmes qui occupaient notamment les trois postes du pupitre de clarinettes (la première soliste étant Andrea Götsch, entrée dans l’orchestre en 2022). Quelle révolution pour cette phalange qui a longtemps été qualifiée comme étant l’une des plus misogynes au monde ! Depuis qu’elle est entrée au répertoire de l’orchestre (le 4 mars 1906, sous la baguette de Karl Muck, qui dirigea auparavant, lors de ce même concert, l’ouverture La Consécration de la maison de Beethoven et le Troisième Concerto brandebourgeois de Bach), la Neuvième Symphonie de Bruckner a été maintes fois donnée par le Philharmonique de Vienne sous les plus grandes baguettes. A sa tête, Zubin Mehta la dirigea pour la première fois le 2 août 1963, précédant de deux ans à peine, pour la firme Decca, sans doute l’un de ses plus grands enregistrements, réalisé début mai 1965. Mais le jeune fauve des années soixante est devenu un vieux lion fatigué dont le métier n’a plus rien à démontrer, certes, mais qui a perdu une bonne partie de l’énergie et de la force qu’il convient d’avoir pour susciter l’intérêt dans cette œuvre testamentaire.
Le premier mouvement est globalement bien réalisé du strict point de vue instrumental (merveilleux Paul Blueml au hautbois solo et Luc Mangholz à la flûte) mais c’est bien la conception de Zubin Mehta qui ne convainc guère. Déployant une gestique toujours élégante et assez minimaliste (une seule main tendue suffisant par exemple à faire entrer tous les cuivres), il aborde ce Feierlich, Misterioso comme une suite d’épisodes, de séquences sans tendre l’arc qui doit en principe joindre les trémolos initiaux des cordes à la coda conclusive, à notre sens l’une des plus belles jamais composées par Bruckner. De fait, on se contente de tourner une page après l’autre, le chef ne portant guère d’attention à la fluidité du discours (même si les élans des cordes viennoises restent souvent irrésistibles, surtout si les violoncelles s’allient aux altos), ni aux transitions qui rendent les enchaînements de ces épisodes de ce fait beaucoup trop visibles. On concèdera néanmoins que la coda fut absolument magnifique, emmenée notamment par un pupitre de cors souverains sous la houlette de Josef Reif, la nouvelle acoustique du Théâtre des Champs‑Elysées ayant pleinement rendu justice à ce qui reste tout de même un orchestre hors pair.
Les mêmes reproches peuvent être adressés au Scherzo, que Zubin Mehta s’ingénie à très fortement décomposer, de telle sorte que l’on perd le côté inexorable de la partition au profit d’une certaine lourdeur, voire raideur. Le Trio est beaucoup plus enlevé, les cordes deviennent aériennes et nous emportent avant que ne reprenne un Scherzo joué à l’identique, Zubin Mehta manquant visiblement d’énergie pour aborder cette page avec toute la rage requise. Et puis vint l’Adagio. Langsam, feierlich, cet adieu à la vie souhaité par le compositeur, le chef n’ayant pas souhaité jouer le quatrième mouvement reconstitué de la symphonie que certains se plaisent à donner. Dès l’entrée profonde des cordes, on est subjugué. Une légère pause avant que n’entre le choral des cuivres et que le fil ne se développe pendant une demi‑heure ; on pense parfois à Parsifal, voire à la fin de la Symphonie alpestre (que Bruckner ne pouvait évidemment pas connaître, l’œuvre ayant été composée en 1915) avec ces silences, ces apesanteurs, ces élans aussi où cordes et cuivres rivalisent de beauté. Là, oui, on retrouve le grand chef et le grand orchestre, comme on avait pu les entendre dans cette même œuvre il y a quinze ans), la flûte magique de Luc Mangholz précédant des pizzicati conclusifs joués dans le plus absolu silence.
Ovation pour le chef et l’orchestre évidemment à l’issue d’un concert qui sera néanmoins resté globalement en demi‑teinte. Après un premier concert également décevant alors dirigé par Daniele Gatti en octobre dernier, avouons que le Philharmonique de Vienne n’aura tout de même pas offert son meilleur visage au public parisien cette saison. Qu’en sera‑t‑il en 2025‑2026 ?
Le site de Zubin Mehta
Le site de l’Orchestre philharmonique de Vienne
Sébastien Gauthier
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