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Les trois B de Sir Simon Paris Philharmonie 01/13/2025 - et 9 (London), 15 (Luxembourg) janvier 2025 Pierre Boulez : Eclat
George Benjamin : Interludes and Aria from ‘Lessons in Love and Violence’
Johannes Brahms : Symphonie n° 4, opus 98 Barbara Hannigan (soprano)
London Symphony Orchestra, Simon Rattle (direction)
B. Hannigan, G. Benjamin (© Antoine Benoit‑Godet/Cheeese)
S’il n’en est plus le directeur depuis 2023, Sir Simon a gardé ses attaches avec le LSO, qui en a fait son chef émérite. A en juger par les deux concerts parisiens de leur tournée, ils s’entendent toujours aussi bien.
Depuis ses années Birmingham, le chef britannique s’attache à défendre la musique de son temps. Centenaire oblige, comment n’aurait‑il pas donné une œuvre de Boulez ? Voici donc, pour inaugurer le premier concert, Eclat, de 1965, sa succession de « mouvements d’action et de contemplation », ses incises laissées à la discrétion du chef, devenu co ou recréateur d’une partition où « il joue de ses quinze instruments comme d’un seul ». Sir Simon n’a pas tout à fait été celui‑ci, livrant une lecture scrupuleuse, un peu fragmentée, plus qu’une interprétation, comme s’il n’osait pas assumer les pouvoirs conférés par le compositeur. Bref, un Eclat assez terne, où les raffinements chromatiques auraient pu être davantage soulignés. On le sentait plus libre avec les Berlinois, aux Proms de 1916. Et peut‑on séparer cet Eclat des Multiples de 1970, qui en sont le complément naturel, le diptyque illustrant le concept de « work in progress » cher à Boulez ?
Les Interludes and Aria from ‘Lessons in Love and Violence’ de George Benjamin, présent dans la salle, satisfont davantage. Sans doute parce que le lyrisme assumé de la partition, où s’intègrent des consonances familières, où la mélodie n’abdique pas ses droits, où les timbres se marient en des combinaisons à la fois inventives et capiteuses, flatte autant l’orchestre qu’un chef plus hédoniste que cérébral. Comment celui‑ci, d’ailleurs, ne s’approprierait‑il pas une partition que le compositeur lui a dédiée pour son soixante‑dixième anniversaire – le 17 janvier, exactement – et qu’il vient de créer à Londres ? Avec la même fascinante Barbara Hannigan, chevelure de soleil et talons de mannequin, dont l’aria centrale confirme l’impeccable technique, notamment la souplesse de l’émission – déclamation oscillant entre le chant et la parole, intervalles osés, aigus périlleux. Et elle s’identifie à la reine Isabelle, délaissée par un Edouard II affolé par son amant Gaveston, qui, devant des sujets expropriés et affamés, dissout dans du vinaigre une perle dont la valeur les aurait rendus riches.
Après Boulez et Benjamin, Brahms : ce sont, ce soir, les trois B de Sir Simon. Mais la Quatrième Symphonie laisse une impression mitigée. La direction s’attache davantage à la beauté plastique et à la rondeur de la pâte sonore qu’à la création dialectique d’une forme – tout semble avancer en une seule coulée. Les tensions du discours ont tendance à s’émousser, dès le premier mouvement, et, plus encore, dans la passacaille finale, trop uniment euphorique. Un Brahms chantant et généreux en tout cas, plus printanier qu’automnal, mené de main de grand maître et porté par des cordes somptueuses, d’une infinie séduction, avec de très beaux moments, telle la fin du mouvement lent. En bis, pour rester chez lui, une pimpante Troisième Danse hongroise.
Didier van Moere
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