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Violetta ou l'état d'un viol

Moscou
Novaïa Opera
01/13/2000 -  et 6, 20 février 2000
Giuseppe Verdi : La Traviata
Marina Joukova (Violetta), Maram Gareiev ( Alfred Germont), Andreï Breous (Georges Germont), Ekaterina Popovskaïa (Annina), Ioulia Abakoumovskaïa (Flora), Maxim Octrohoukov ( Gaston), Oleg Felkouchov ( Le Baron ), Natalia Erchova, Larissa Fedorova ( les amies), Rodion Pogocov(le barman)
Alla Sigalova (mise en scène), Ernst Heidebreht (décors), Maria Danilova (costumes),
Orchestre et choeurs du Théâtre Novaïa Opera de Moscou, Evgueni Kolobov (direction)

Le propre d'un opéra est de renaître indemne en dépit des pulsions irrésistibles qui conduisent certains décorateurs et metteurs en scène à revendiquer collectivement le droit au viol destiné à lui restituer sa virginité. La méthode semble d'autant plus appropriée à leurs yeux lorsqu'il s'agit de la Traviata dont l'héroïne est vouée à tous les sacrifices. Ainsi pouvait-on décoder d'emblée, sur la scène du magnifique théâtre Novaïa Opera de Moscou, le décor révélateur de cette intention rédemptrice : une boite de nuit enfumée, un bar circulaire prolongé par des panneaux transparents qui serviront de vitrines aux collègues de Violetta, un lustre tentaculaire dont les membres articulés éclaireront les tourments des protagonistes et un praticable pour un petit ensemble de Jazz chargé d'extraire de la partition originale, afin de la mener vers plus d'originalité encore, les premières mesures de certains thèmes développés ensuite par l'orchestre de la fosse mais que Verdi n'avait pas eu la présence d'esprit d'anticiper aussi judicieusement !

La naïveté du procédé serait sans conséquences s'il ne témoignait pas du besoin éperdu de solliciter en permanence l'attention du public envers des trouvailles hautement signifiantes chargées d'authentifier à tout prix une lecture expressionniste fondée sur le modèle de l'Opéra d'quatr'sous.

Si l'on prend le parti de ne pas être dupe de tels artifices, il faut convenir que l'option choisie ouvre un champ d'application sans limites à la description d'une société décadente. Le puritanisme de façade n'étant pas l'apanage de notre pays, l'idée de transplanter l'action dans un lieu de débauche évoquant davantage les quartiers chauds d'outre-Rhin convenait sans doute mieux au décorateur allemand Heinst Heidebreht qui a trouvé en Alla Sigalova, le metteur en scène russe, une complice idéale pour illustrer avec une fureur sous-jacente la violence des interdits envers les êtres qui tenteraient de vivre hors normes, surtout en amour. En cela, l'outrance et la grandiloquence servent de révélateur pour donner toute sa dimension au rôle décisif du père d'Alfred Germont dont l'attitude physiquement menaçante ne laisse en réalité aucune échappatoire à la malheureuse Violetta. Marina Joukova, incomparable d'émotion contenue jusqu'au paroxysme, réalise une performance qui tient de la danse et de la pantomime d'autant qu'il lui est demandé d'illustrer chacune de ses pensées par des gestes significatifs du désarroi qui l'étreint, aux limites de la désarticulation arythmique pour bien rendre perceptible la torture qu'elle subit et la fragilité mentale qui peu à peu s'empare d'elle. La musique sert trop souvent de faire valoir à cet exercice que chacun accomplit à tour de rôle ou simultanément dans de savantes compositions scéniques au mécanisme implacable dont l'impact est absolument indéniable, en particulier dans les moments les plus dramatiques. Rien n'est laissé au hasard dans la volonté de monopoliser l'attention dès les premiers instants suivant une logique cohérente qui finit par emporter l'adhésion tant elle se manifeste avec la certitude du bien fondé. Ce qui concourt à renforcer le sentiment de l'inéluctable que nous sommes conviés à partager sous cette forme.

Dans cet esprit de soumission absolue, les talents individuels se manifestent héroïquement et la partition superbement interprétée en sort étonnamment grandie tant il est vrai que la ponctuation scénique, loin d'être à contre sens, en accentue le détail souverain De cette confrontation chacun sort épuisé, et comment savoir en fin de compte s'il a dépendu de la dénonciation des moeurs ou de la méthode employée pour nous faire ressentir le poids de l'enfermement auquel elles nous contraignent que je me sois senti si heureux de me retrouver à l'air libre à l'issue de ce spectacle.



Edmond Rosenfeld

 

 

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