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Un éblouissement de tous les instants Lausanne Opéra 12/22/2024 - et 23*, 27, 29, 31 décembre 2024 Benjamin Britten : A Midsummer Night’s Dream, opus 64 Christopher Lowrey (Oberon), Marie-Eve Munger (Tytania), Michael Porter (Lysander), Heather Lowe (Hermia), James Newby (Demetrius), Aoife Miskelly (Helena), Faith Prendergast (Puck), David Ireland (Bottom), Anthony Gregory (Flute), Barnaby Rea (Quince), Thibault de Damas (Snug), Glen Cunningham (Snout), Alex Otterburn (Starveling), Damien Pass (Theseus), Lucie Roche (Hippolyta)
Maîtrise Opéra du Conservatoire de Lausanne, Francine Acolas, Eline Kretchkoff (préparation), Orchestre de Chambre de Lausanne, Guillaume Tourniaire (direction musicale)
Laurent Pelly (mise en scène, décors, costumes), Luc Birraux (assistant à la mise en scène), Massimo Troncanetti (décors), Jean-Jacques Delmotte (collaboration aux costumes), Michel Le Borgne (lumières)
(© Carole Parodi)
Un enchantement. Pour les fêtes de fin d’année, l’Opéra de Lausanne présente un spectacle féerique et envoûtant, un spectacle signé Laurent Pelly et étrenné à Lille en mai 2022 : Le Songe d’une nuit d’été (1960) de Benjamin Britten. Deux ans et demi plus tard, la production n’a absolument rien perdu de sa force d’évocation et de sa magie ; on se dit qu’il s’agit très certainement de l’une des plus belles réussites du metteur en scène, qui a su restituer avec brio toutes les facettes et toutes les ambiances de l’ouvrage – un modèle de mélange des genres – qu’il s’agisse des passages féeriques, oniriques ou comiques. Dans un cadre noir totalement dépouillé (il n’y a pas de forêt enchantée ici), des points lumineux descendent des cintres pour figurer des étoiles ; puis des elfes sautillants, dont on ne voit d’abord que les yeux brillants, font leur apparition sur le plateau. Le public est déjà totalement sous le charme. Arrivent alors Obéron et Titania, qui se déplacent dans les airs grâce à deux immenses bras télescopiques presque invisibles ; l’émerveillement est total lorsque les deux personnages commencent à virevolter et à chanter au‑dessus des premiers rangs de spectateurs. Les deux couples d’amoureux, Lysandre-Hermia et Démétrius-Helena, portent des pyjamas et des nuisettes et sont toujours en mouvement, déplaçant des matelas et des lits métalliques qui s’éloignent l’un de l’autre puis se mettent bout à bout et finissent par s’entrechoquer. Le groupe des artisans est vêtu, lui, de costumes bariolés qui contrastent avec le noir‑blanc des autres personnages ; durant tout le troisième acte, celui où est improvisée la pièce de théâtre pour les noces royales, caricature désopilante de l’opéra italien, un immense miroir mouvant va refléter la salle. Les superbes éclairages de Michel Le Borgne contribuent à la magie de ce spectacle.
Laurent Pelly est venu lui-même assurer la reprise de son spectacle à l’Opéra de Lausanne, où Le Songe d’une nuit d’été est présenté pour la toute première fois. Il y a retrouvé Guillaume Tourniaire, qui officiait déjà dans la fosse à Lille. Si la prestation du chef avait laissé des impressions quelque peu mitigées il y a deux ans, à Lausanne elle mérite tous les éloges. A la tête de l’Orchestre de Chambre de Lausanne, le maestro est parfaitement en osmose avec la mise en scène et enchaîne, lui aussi, de manière parfaitement fluide les pages si différentes de cette partition tellement inventive et expressive, jalonnée de phrases très courtes. Les univers qui composent l’opéra, dont chacun est finement caractérisé musicalement, sont rendus avec précision et de façon très contrastée, qu’il s’agisse de la sensualité et des élans amoureux avec les pupitres des cordes, du comique des artisans marqué par les cuivres et les bois, des interventions de Puck à coup de tambour et de trompette ou encore des envoûtants glissandi des cordes, qui donnent son ton si caractéristique à l’ouvrage.
Avec ses voix claires et enfantines, la Maîtrise Opéra du Conservatoire de Lausanne est parfaite de cohérence, de précision mais aussi de vitalité et d’engagement scénique, malgré un anglais parfois approximatif. Un reproche qui ne peut pas être adressé à la distribution vocale, composée entièrement ou presque de chanteurs anglophones, une distribution par ailleurs de haute tenue et parfaitement homogène, au sein de laquelle personne e cherche à tirer la couverture à soi. En Obéron, le contre‑ténor Christopher Lowrey séduit par le naturel et l’aisance de ses notes très haut perchées. Comme déjà à Lille, Marie‑Eve Munger incarne une Titania tout à la fois sournoise et pulpeuse, avec sa voix chaude et corsée. Les deux couples d’amoureux sont extrêmement bien assortis : le ténor Michael Porter campe un Lysandre au timbre clair avec, face à lui, l’Hermia toute de douceur et de tendresse de Heather Lowe, alors que le Démétrius du baryton James Newby séduit par sa voix bien timbrée, aux côtés de l’Helena à la voix lumineuse et agile d’Aoife Miskelly. Parmi les artisans, on retient surtout le truculent et imposant Bottom de David Ireland, qui incarnait Quince à Lille. Damien Pass en Thésée et Lucie Roche en Hippolyte campent un couple royal comme il se doit. On n’oubliera pas non plus l’extraordinaire Puck de Faith Prendergast, espiègle et insolent, bondissant et vociférant sans cesse. Un magnifique spectacle de fêtes ! Un éblouissement de tous les instants, qu’on n’est pas près d’oublier.
Claudio Poloni
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