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Entre ferveur et orientalisme

Strasbourg
Palais de la musique et des congrès
12/18/2024 -  et 19* décembre 2024
Camille Saint-Saëns : Oratorio de Noël, opus 12
Nikolaï Rimski-Korsakov : Schéhérazade, opus 35

Fanny Soyer (soprano), Floriane Hasler (mezzo), Adèle Charvet (alto), François Rougier (ténor), Jean‑Christophe Lanièce (baryton)
Roselyne Koeniguer (orgue), Chœur de l’Opéra national du Rhin, Hendrik Haas (chef de chœur), Orchestre philharmonique de Strasbourg, Aziz Shokhakimov (direction)


(© David Amiot)


Construite en 1975, la salle principale du Palais de la musique et des congrès de Strasbourg surprend immédiatement par son architecture intérieure « brutaliste », aux larges volumes qui valorisent le béton brut dans les circulations et le hall, à l’instar de l’Auditorium de Lyon, construit à la même période. On est aussi séduit par l’excellente acoustique de cette salle de 1 876 places, de forme hexagonale, qui a gardé sa décoration d’époque, proche des audaces géométriques de Vasarely.


Le concert débute avec le rare Oratorio de Noël (1858), composé dans la foulée de la nomination de Saint‑Saëns au poste prestigieux d’organiste de l’église de la Madeleine. Alors en début de carrière, le Français est davantage reconnu pour ses talents d’interprète au piano et à l’orgue, même s’il s’est déjà essayé à écrire deux symphonies et deux concertos. Deux autres oratorios, Le Déluge (1875) et La Terre promise (1913), tout aussi peu joués de nos jours, s’ajoutent au catalogue de la musique religieuse d’un compositeur notoirement peu croyant et logiquement peu productif en ce domaine.


La découverte de ce premier oratorio donne à entendre un Saint‑Saëns voulant manifestement fuir l’étiquette de virtuose qui lui colle à la peau : les brefs mouvements s’enchaînent en de courtes vignettes délicatement ciselées, autour d’une orchestration sans ostentation, à l’image de la sobriété des instruments réunis (cordes, harpe et orgue). L’influence allemande est d’emblée assumée par la dénomination du Prélude, « dans le style de Bach », très proche d’une pastorale de l’œuvre homonyme du cantor de Leipzig. Les parties chorales, souvent homophoniques, se tournent davantage vers une simplicité d’expression destinée à mettre en valeur le texte en latin.


Un rien inégal, cet ouvrage assez court (moins de 40 minutes) reste toutefois plaisant par l’alternance des airs, duos et ensembles, avant un final plus spectaculaire qui convoque l’ensemble des forces en présence, pour entonner de stimulants alléluias. Les solistes réunis montrent un niveau aussi homogène que superlatif, bien aidés par la direction entre épure et précision d’Aziz Shokhakimov, en maître sourcilleux des équilibres. On note aussi la prestation toute de subtilité de l’organiste Roselyne Koeniguer, toujours attentive aux moindres inflexions de la battue du chef ouzbek. Le chœur, admirable, bénéficie quant à lui de l’acoustique détaillée de la salle, qui fait entendre chaque individualité, sans nuire à l’impression globale d’ensemble.


Un incident inhabituel se déroule pendant les applaudissements, sans que le chef et les instrumentistes ne s’en aperçoivent : un choriste s’écroule en arrière‑scène, immédiatement secouru et mis à l’écart par ses collègues. Dans le même temps, Marie Linden, directrice générale du Philharmonique de Strasbourg, rejoint les coulisses pour s’assurer du peu de gravité de ce malaise. De quoi rassurer, par la suite, les spectateurs venus s’enquérir de la santé du malheureux choriste. Après l’entracte, les solistes de la première partie du concert rejoignent le public, cette fois en tenue plus décontractée, pour assister au principal plat de résistance de la soirée, la célébrissime suite symphonique Schéhérazade (1888) de Rimski‑Korsakov.


Les premières mesures font la part belle à l’expressivité et aux couleurs, avec des pupitres bien détaillés, notamment aux vents. Les tempi, initialement mesurés, gagnent en intensité dans les parties plus cuivrées, opposant ainsi admirablement les thèmes du sultan et de la courtisane, sans effets appuyés. La mesure et la ductilité des phrasés dominent cette lecture qui évite soigneusement toute effusion lyrique, en une transparence aérienne qui fait valoir les qualités d’orchestrateur de Rimski‑Korsakov. Jamais plus inspiré que par les contes, comme l’a montré la merveilleuse production du Conte du Tsar Saltan montée en 2023 avec le Philharmonique de Strasbourg et Shokhakimov, le compositeur russe fait étalage d’une invention mélodique parmi les plus inspirées de toute sa production : la répétition aussi entêtante qu’envoûtante des thèmes entremêlés trouve son paroxysme dans le finale épique, aux ruptures verticales superbes d’intensité. Les dernières mesures, plus apaisées en contraste, exposent le premier violon de Charlotte Juillard, en des notes suraiguës au pianissimo particulièrement périlleux, mais parfaitement tenu, concluant en majesté ce chef‑d’œuvre éternel de la musique russe.



Florent Coudeyrat

 

 

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