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Etourdissant d’inventivité

Bâle
Theater
11/16/2024 -  et 18, 23, 24 novembre, 8, 17, 18*, 31 décembre 2024, 4, 16, 23, 25 janvier, 1er, 7, 14, 16, 17, 23 février 2025
Stephen Sondheim : Into the Woods
Stefan Kurt (Le narrateur, L’homme mystérieux), Alfheidur Erla Gudmundsdóttir (Cendrillon), Harpa Osk Björnsdóttir (Raiponce), Vanessa Heinz (Le petit chaperon rouge), Alen Hodzovic (Mr. Baker), Julia Klotz (Mrs. Baker), Jan Rekeszus (Le prince de Cendrillon, Le loup), Sarah Baxter (Florinda), Ronan Caillet (Le prince de Raiponce), Sophie Kidwell (Lucinda), Delia Mayer (La sorcière), Oedo Kuipers (Jack)
Sinfonieorchester Basel, Thomas Wise (direction musicale)
Martin G. Berger (mise en scène), Sarah Katharina Karl (décors), Alexander Djurkov Hotter (costumes), Cornelius Hunziker (lumières), Vincent Stefan (vidéo), Meret Kündig (dramaturgie)


(© Ingo Höhn)


Troisième ville suisse par son nombre d’habitants (plus de 170 000), Bâle est un centre culturel éminent à la frontière de notre pays, avec pas moins de quarante musées répartis dans tout le canton, dont les prestigieux musée des Beaux‑Arts et Fondation Beyeler, au rayonnement international. Il n’est donc pas surprenant d’y trouver un théâtre richement doté pour ce qui est du répertoire classique, avec un fonctionnement identique au modèle allemand voisin, fondé sur le « théâtre de répertoire ». Construite en 1975, la salle principale de 870 places surprend par sa décoration très minimaliste, tout en offrant une visibilité parfaite à l’ensemble des spectateurs, sans parler d’une proximité bienvenue avec la scène.


Parmi les nouvelles productions cette saison, celle d’Into the Woods (1986) fait figure d’événement, tant ce bijou de Stephen Sondheim (1930‑2021) touche au cœur par son livret d’une imagination et d’une ambition foisonnantes, qui aborde des thèmes d’une profondeur inhabituelle pour une comédie musicale. Il s’agit de la deuxième collaboration avec le librettiste James Lapine, déjà auteur de l’ambitieux Sunday in the Park with George en 1984, avant une création française tardive en 2013, au Théâtre du Châtelet. Le livret d’Into the Woods regroupe plusieurs contes bien connus de notre enfance, de Cendrillon au Petit Chaperon rouge, en passant par Raiponce et Jack et le haricot magique, avec une folle virtuosité. Symboliquement, la forêt représente la métaphore de nos interactions sociales, à la fois désirées et redoutées, tout au long de la vie.


En lien avec les travaux psychanalytiques de Bruno Bettelheim, la grande force du livret consiste à interroger les faux‑semblants du conte par touches progressives, ce que la mise en scène de Martin G. Berger fait mine d’ignorer au début, en adoptant une direction d’acteur et des costumes d’apparence traditionnelle. Quelques détails troublants incitent peu à peu le spectateur à prendre de la distance avec les apparences, comme ces vidéos qui alternent fiction et réalité, en mélangeant les formes, du film à l’animation. Sans ostentation, le travail sur la vidéo donne ainsi à envisager une réalité moins glamour du désir d’enfantement du couple de boulangers, en montrant un accouchement sanguinolent. Rien de trash cependant, tant ces images restent furtives, comme un avertissement à rester attentif aux moindres péripéties de l’action.


La nudité du plateau en seconde partie viendra plus encore participer à ce jeu de déconstruction des effets du théâtre, pour imposer une concentration sur le texte : les enjeux développés, parfois ambivalents, n’en ressortent que davantage, entre individualisme et émulation collective, castration maternelle et responsabilisation individuelle, infidélité conjugale et obligation sociétale à s’engager durablement, sans parler de la crainte de la paternité. Enfin, la menace diffuse imprimée par les géants, avec son lot de mortalité associé, peut aussi être interprétée comme une parabole de l’aptitude commune à lutter contre un virus alors inattendu et inconnu, le sida.


Il faut courir voir ce spectacle dont on ne dévoilera pas les multiples surprises, et surtout ne pas le juger sur des photos qui ne disent rien de l’inventivité de la direction d’acteur comme de la mise en valeur du plateau tournant et du jeu de miroirs associés. On aime aussi les traits d’humour distillés par les costumes souvent désopilants, notamment celui de la malheureuse vache blanche ou des loups en mode loubard. La musique de Sondheim reste un régal d’inventivité, pétillante et jazzy au début, avant de s’apaiser en seconde partie pour prendre une dimension plus lyrique, particulièrement émouvante dans la double confession de la sorcière, puis du boulanger. Le chef américain Thomas Wise épouse ces différentes atmosphères avec un mélange de sensibilité et de brio d’un naturel confondant, qui n’est pas pour rien dans la grande réussite de la soirée.


On ne saurait faire moins d’éloges au plateau vocal, de haut niveau jusque dans le moindre second rôle, et ce malgré une sonorisation un peu excessive au début, avant des réglages plus équilibrés ensuite. En éminent maître de cérémonie, Stefan Kurt fait valoir sa classe interprétative au niveau théâtral, en trouvant le ton juste entre bienveillance initiatique et lyrisme grandiloquent. A ses côtés, Delia Mayer (La sorcière) et Alen Hodzovic (Mr. Baker) se distinguent dans leurs rôles décisifs, en un brio sans ostentation, mais c’est peut-être plus encore Julia Klotz (Mrs. Baker) qui touche au cœur par son humanité et son attention au texte. On aime aussi la fraîcheur de timbre d’Alfheidur Erla Gudmundsdóttir (Cendrillon) et surtout d’Oedo Kuipers (Jack), de même que la délicieuse et piquante Vanessa Heinz (Le petit chaperon rouge).



Florent Coudeyrat

 

 

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