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Un thriller captivant pour les fêtes

Geneva
Grand Théâtre
12/12/2024 -  et 14, 16, 17*, 19, 21, 22 décembre 2024
Umberto Giordano : Fedora
Aleksandra Kurzak*/Elena Guseva (Princesse Fedora Romazoff), Roberto Alagna*/Najmiddin Mavlyanov (Comte Loris Ipanoff), Simone Del Savio (De Siriex), Mark Kurmanbayev (Gretch), Yuliia Zasimova (Comtesse Olga Sukarev), Sebastià Peris (Lorek), Vladimir Kazakov (Cirillo), Louis Zaitoun (Baron Rouvel), Igor Gnidii (Boroff), Georgi Sredkov (Sergio), Rodrigo Garcia (Nicola), Céline Kot (Dimitri), Anna Manzoni*/Laura Popa‑Oprea (Garçon paysan), David Webb (Désiré)
Chœur du Grand Théâtre de Genève, Mark Biggins (préparation), Orchestre de la Suisse Romande, Antonino Fogliani (direction musicale)
Arnaud Bernard (mise en scène), Yamal Das Irmich (cllaborateur à la mise en scène), Johannes Leiacker (décors, costumes), Fabrice Kebour (lumières), Paul-Henry Rouget de Conigliano (vidéo)


(© Carole Parodi)


Pour les fêtes de fin d’année, le Grand Théâtre de Genève a eu l’heureuse idée de programmer la très rare Fedora d’Umberto Giordano, un compositeur que les mélomanes connaissent surtout pour Andrea Chenier. Le livret de l’opéra est fondé sur une pièce que Victorien Sardou avait écrite pour Sarah Bernhardt en 1882. L’intrigue se déroule à Saint‑Pétersbourg une année plus tôt : la princesse Fedora doit épouser le comte Vladimir Andrejevich, qui est mystérieusement assassiné la veille du mariage. Fedora jure de venger son fiancé. Tous les soupçons se dirigent sur l’anarchiste Loris Ipanoff. Fedora le suit à Paris et déploie des trésors de séduction pour lui faire avouer son crime. Loris passe finalement aux aveux et Fedora le dénonce aux autorités, qui arrêtent immédiatement son frère, Valeriano, soupçonné de complicité de meurtre. Un peu plus tard, Loris explique qu’il a tué le comte parce qu’il l’avait surpris avec sa propre épouse, Wanda. Fedora, qui entretemps est tombée éperdument amoureuse de Loris, est bouleversée. Les deux amants quittent Paris pour se réfugier en Suisse, où ils apprennent le décès de Valeriano, en prison, puis celui de la mère de Loris, folle de chagrin. Fedora est prise de remords et avoue être la dénonciatrice. Loris la maudit ; Fedora avale du poison et meurt dans les bras de son amant. Umberto Giordano a composé son opéra pour la soprano et actrice Gemma Bellincioni (1864‑1950), égérie du vérisme, qui a créé le rôle‑titre à Milan en 1898, aux côtés d’un jeune ténor, Enrico Caruso, dans le rôle de Loris. La première à Milan a connu un immense succès et l’ouvrage a ensuite été repris à Vienne sous la direction de Gustav Mahler, avant d’être présenté à New York en 1906. Le rôle de Fedora fascine les divas : dans les années 1950, il a attiré Maria Callas, Renata Tebaldi ou encore Magda Olivero, suivies plus récemment par Renata Scotto, Mirella Freni, Agnes Baltsa et Sonya Yoncheva, aux côtés notamment de Plácido Domingo, José Carreras et José Cura en Loris.


A Genève, le metteur en scène Arnaud Bernard a transposé l’action à notre époque, dans un univers de riches oligarques épiés par les services secrets russes. Le spectacle s’ouvre sur un écran géant affichant une recherche sur Internet, avec comme critères « Fedora Romazoff » et « kompromat » (moyen utilisé par les services secrets pour compromettre un ennemi politique). Le rideau se lève ensuite sur un assez long prologue (sans musique) pendant lequel on voit Vladimir, en train de s’amuser avec une jeune femme dans un lit, surpris par Loris, qui sort son arme pour lui tirer une balle. Toute la scène est scrupuleusement observée sur des écrans par des agents des renseignements. Le deuxième acte se situe dans le grand salon d’un riche appartement parisien ; au lever de rideau, le public applaudit spontanément la somptuosité du décor et les poses figées des interprètes. Le troisième acte se déroule au Palace de Gstaad, avec, parmi les figurants, des mécènes du Grand Théâtre ayant une résidence dans la célèbre station suisse. On les voit s’adonner avec délectation au « small talk » mondain, un art qui n’a aucun secret pour eux ! La soirée se termine avec l’écran du début, sur lequel s’affiche un texte relatant le décès de Fedora, comme s’il s’agissait d’un simple fait divers. Le spectacle est conçu comme un thriller haletant, et effectivement on ne s’ennuie pas une seule seconde.


A la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, Antonino Fogliani obtient des musiciens des trésors de douceur, de délicatesse et de sensualité mettant parfaitement en valeur tout le raffinement et le lyrisme de la partition de Giordano. La distribution vocale est emmenée par la splendide Fedora d’Aleksandra Kurzak, princesse noble et altière, qui émeut aussi par sa fragilité lorsqu’elle est prise de remords, avec son timbre chaud et corsé, sa voix parfaitement homogène sur toute la tessiture, ses pianissimi ensorcelants et ses aigus habilement négociés, sans parler de sa présence scénique incandescente. Malgré quelques soucis d’intonation dans les aigus et des notes parfois un peu rêches, Roberto Alagna affiche une belle forme vocale et incarne un Loris ardent et rayonnant, au chant puissant. Les voix des deux interprètes se marient idéalement pour offrir des duos bouleversants. Parmi les nombreux rôles secondaires, on retient la pétulante comtesse de Yuliia Zasimova et le Siriex au chant racé de Simone Del Savio. On notera aussi l’apparition, au deuxième acte, du pianiste David Greilsammer, grimé en faux Chopin. Un très beau spectacle de fêtes !



Claudio Poloni

 

 

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